• Le Gréco et la Contre Réforme par Daniel D

     Le Gréco et la Contre Réforme : « Je t’aime moi non plus » ?

      Incompris pendant des siècles, le Gréco le restera sans doute encore longtemps...

    Est-il possible cependant de poser quelques jalons dans ce labyrinthe ?

      Doménikos Theotokopoulos était né en 1541 à Candia (Héraklion) en Crète, qui était alors une possession de la République de Venise. Son père était commerçant et collecteur d’impôts.

    Il étudia la peinture dans son île, et devint un maître reconnu en icônes byzantines, dans un style traditionnel orthodoxe grec. Les icônes étaient des représentations artificielles, un peu hiératiques et très codées. Elles servaient de support à la dévotion, et n’étaient pas considérées comme des « œuvres d’art ».

    Agé de 26 ans environ (1567), afin de perfectionner son art, il se rendit à Venise qui était à l’époque le plus grand centre artistique de l’Italie. Il y rencontra le vieux Titien (1488 – 1576), Tintoretto (1518 – 1594), Veronèse (1528 – 1588), et d’autres, dont il étudia les œuvres.

    Il arriva à Venise en pleine période « maniériste ».

    Cette période constitue une rupture avec l’optimisme et l’harmonie de la Renaissance, à la suite du sac de Rome, de la Réforme protestante et de la perte de l’autorité papale.

    Elle se caractérise, entre autres particularités, par une symbolique complexe (alchimie, art du blason, langage des fleurs, ...), la déformation et la torsion des corps, le goût des schémas sinueux, dont la "figure serpentine", la recherche du mouvement, la modification des proportions du corps, les contrastes de tons acides et crus, l'allongement des formes, les postures artificielles.

    Ensuite, il fit un séjour à Rome où il poursuivit sa formation italienne.

     Fort de cette expérience, âgé de 36 ans, c’est un homme et un peintre déjà bien formé, reconnu et sûr de lui qui arriva en Espagne, en 1577.

    Attiré par les fastes du chantier de l’Escorial, il pensait trouver là l’occasion de se construire une fortune et une célébrité. Il s’installa à Tolède où il se fit des amis, parmi lesquels Diego de Castilla, doyen de la Cathédrale, qui lui commanda bientôt plusieurs tableaux.

    Il fut ensuite présenté au Monarque et en obtint une commande qu’il exécuta entre 1880 et 1882 : « El Martirio de San Mauricio ».

    Hélas, l’œuvre ne plut pas à Philippe II ... Et cela pour plusieurs raisons.

    Philippe II était un fin connaisseur en peinture (entre autres spécialités): il n’apprécia pas les couleurs, les formes, ni l’aspect descriptif et narratif, ni les corps dénudés des scènes représentées.

    En un mot, ce tableau ne correspondait pas aux canons du Concile de Trente !

    Il paya le tableau et le mit au rebut où il resta pendant des décennies.

    On imagine la déception de notre peintre qui, du coup, se replia définitivement sur Tolède.

    Le Gréco et la Contre Réforme

    Quels étaient donc ces canons de la Contre Réforme ?

    Auparavant, deux mots sur la Réforme.

    Depuis la fin du Moyen Age, l’Eglise Catholique Romaine sombrait dans le luxe, la corruption morale et financière, —voir à ce sujet le pape Alexandre VI et sa famille Borgia, d’origine espagnole... —, et dans les abus de pouvoir. Par ailleurs, grâce à l’imprimerie, les fidèles purent se rendre compte que cette Eglise trahissait systématiquement les enseignements de la Bible, et du Christ en particulier.

    Il en résulta un mouvement de « réforme » qui avait pour objectif d’assainir tout cela, mais aussi de modifier les rapports de l’Homme à Dieu en refusant les entités intermédiaires, comme le Pape, ainsi que les dogmes tels la « virginité de Marie » et le culte des Saints.

    Consciente de tout cela, l’Eglise avait entrepris elle-même de se réformer soit de façon intérieure et discrète —Sainte Thérèse d’Avila—, soit de façon outrancière par la « Contre Réforme » issue du très doctrinaire Concile de Trente.

    En ce qui concerne l’iconographie, tout ce qui pouvait aller à l’encontre des Protestants était bon à exploiter, pour enseigner —ré endoctriner— le peuple des fidèles égarés: Vierges et enfants Jésus, Christs agonisants, Saints, etc.

    Et l’Espagne, toujours excessive, surpassa même le Concile, qui ne souhaitait pas que les images soient adorées pour elles-mêmes, en créant un véritable foisonnement d’idoles.

    Les exemples les plus représentatifs de cet art, encore vénéré aujourd’hui, se trouvent dans les statues baroques de la Semaine Sainte.

    On perçoit facilement les différences avec les Christs du Gréco.

    Le Gréco et la Contre Réforme

     

    N’ayant pas été admis à l’Escorial, Doménikos s’installa donc définitivement à Tolède. Il choisit le quartier de la « Judería » où il occupa une des vastes maisons du Marquis de Villena, très célèbre converti, près de la synagogue du Tránsito, mais qui n’est pas celle que l’on a reconstituée de toutes pièces et que l’on visite aujourd’hui.

    Son principal ami et mécène, Diego de Castilla (1507 – 1584), était d’origine juive. Il avait été le principal opposant au statut de « pureté du sang » établi par le Cardinal de Tolède, ce qui lui barra toute promotion par la suite. 

    Notre peintre eut une compagne, Jerónima de las Cuevas, d’origine juive aussi, et apparentée à Sainte Thérèse, avec qui il ne se maria pas, sans doute pour ne pas changer de religion, et eut un fils qui ne fut jamais baptisé.

    La possible origine juive du Gréco est renforcée par d’autres indices, par exemple de nombreux signes énigmatiques présents sur ses tableaux, le plus frappant étant la main du Chevalier, présente aussi sur d’autres tableaux.

     

    Cette position des doigts, difficile à réaliser, antinaturelle, n’est pas le fait du hasard. Des chercheurs juifs ont pu y déceler un signe de reconnaissance secret entre « marranes », les juifs convertis, mais seulement en apparence, au catholicisme.

     

    La « Sainte Inquisition » ne manqua pas de l’importuner au cours de plusieurs procès !

     

     

    Le Gréco et la Contre Réforme

     

     On lui reprochait entre autres crimes de déformer les Ecritures, de faire des représentations blasphématoires des Saints, de peindre des Anges « païens » à cause de leurs ailes trop grandes, d’utiliser des couleurs trop criantes et vulgaires, impropres à la prière. En quelques mots : une peinture hérétique, indécente, donc non conforme aux Canons du Concile de Trente.

     Même les Francs Maçons ont cru reconnaître dans ses tableaux des signes, venus des Templiers, par les Chevaliers du Christ. Dans l’ « Enterrement du Comte d’Orgaz », ils voient la longue croix de ces Chevaliers du Christ, une tête de mort, un compas, une équerre, etc.

    Notre homme aimait beaucoup l’argent : le gagner et le dépenser, ce qui le conduisait à subir ou à provoquer de nombreux procès à propos de ses droits d’auteur, ce sur quoi il est un véritable précurseur.

     

    Il aimait la vie et menait grand train, ayant même à son service des musiciens pour animer ses réunions mondaines

     

    Le Gréco et la Contre Réforme

     Par ailleurs, on considère qu’il ne s’ « intégra » vraiment jamais, selon le concept à la mode aujourd’hui, à la société espagnole : il parlait dans un jargon gréco-italo-espagnol, il signa toujours de son nom d’origine, écrit en lettres grecques. Son nom même, « El Greco » est un mélange d’espagnol et d’italien.

    Enfin, dans ses écrits, récemment retrouvés, dans les marges des livres de sa bibliothèque –car il lisait beaucoup–, on a remarqué qu’il ne parlait jamais de religion.

     A sa mort, et à celle de ses protecteurs, il tomba dan un oubli de trois siècles. Ses tableaux furent livrés aux outrages du temps, dans le fond des églises où ils se recouvrirent de poussière et finirent par craquer et par moisir. D’autres furent vendus pour des bouchées de pain.

     Lors de la construction du Musée du Prado, au mieux on l’oublia, au pire on refusa sa présence! Il ne bénéficie donc ni d’une salle ni d’un médaillon à l’entrée...

     On a pu dire des choses aussi opposées que « Le Gréco au service de la Contre Réforme » et « Le Gréco athée plus ou moins opportuniste » !

     Il fallait bien toutes ces œillères idéologiques, irrationnelles, manichéennes, fanatiques, de part et d’autre, pour être aussi aveugle. 

    Par contre, le Franquisme tenta de se l’approprier : le baiser de la mort, qui aurait pu lui être fatal...

     Tout le monde tente de le récupérer aujourd’hui : les Juifs, l’Eglise Catholique, et surtout... le Tourisme !

    Est-il possible de synthétiser tout cela pour approcher l’esquisse d’un portrait de l’homme? 

    D’origine juive espagnole par ses grands-parents chassés en 1492, sans doute ; de confession orthodoxe grecque : probablement.

     Formé initialement à la contraignante technique de l’icône, puis au maniérisme italien : on en a toutes les preuves.

    Informé sur divers courants ésotériques : vraisemblablement, si l’on en juge par ses lectures.

    Immergé dans le fanatisme catholique de la Contre Réforme et de l’Inquisition, puis obligé de travailler pour ces mouvements auxquels il semble ne pas avoir adhéré : de toute évidence, il ne figure dans les listes d’aucune confrérie..

    Sûr de son art, orgueilleux, aimant le luxe et l’argent, ardent défenseur de ses intérêts : ses nombreux procès le montrent.

    En grand décalage avec la sensibilité et les courants picturaux de son temps : oui, clairement, car il n’a pu tenir que grâce à des protecteurs et à des mécènes qui, soit comprenaient sa peinture, soit agissaient pour des raisons secrètes plus profondes. L’oubli dans lequel il est rapidement tombé semble le prouver.

    Alors ?

     Le mieux est de revenir aux œuvres, par exemple à ce Saint Pierre, restauré seulement il y a quelques années ! Et de poser une question de fond, au-delà de toutes les récupérations et de toutes les polémiques : peut-on peindre cela sans avoir un minimum de foi, au moins en l’Homme ?

    En synthèse, chez le Gréco, comme c’est la cas chez tous les mystiques de toutes les traditions, la foi ne transcenderait-elle pas les religions, les dogmes et les politiques ?

    Et Dieu, qui n’a rien à voir avec toutes ces manigances, ne se révélait-il pas directement à lui, étant en chacun de nous, et aussi, espérons-le, chez les « pêcheurs » eux-mêmes... ?

    Le Gréco et la Contre Réforme

     

    Daniel D.

     


  • Commentaires

    1
    claude
    Vendredi 9 Mai 2014 à 11:11

    époustouflant et si riche:merci,Daniel ,pour ta contribution remarquable à la Tertulia!

    2
    Vanessa
    Mardi 16 Juin 2015 à 00:44

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