• Les fantômes du défilé de Pancorbo

    Les fantômes du défilé de Pancorbo

    Gravure de David Roberts (1796 – 1864).

    « Nous nous arrêtâmes quelques minutes à Pancorbo, si cher aux peintres romantiques (et tellement exagéré par eux), comme Despeñaperros, son frère du Sud. Le lieu est vraiment impressionnant.

    En contemplant les falaises, je me souvins de la gravure du défilé que j’ai vue, il y a peu, dans une galerie de Londres.

    Dans son angle inférieur attendait, derrière des rochers, un groupe de bandits armés de carabines. Dans leur direction, par le chemin qui serpentait entre les rocailles, venait la diligence attendue.

    Dans quelques secondes l’attentat allait être commis, peut-être avec du sang versé.

    C’est ainsi que les romantiques voyaient l’Espagne d’alors. »

    Ian Gibson. « La berline de Prim ».

     

    Et, si nous partions, justement, pour une traversée « romantique » de ce défilé ?

    Ici, comme ailleurs, les montagnes ont toujours été aussi difficiles à gravir, et parfois plus encore à redescendre, surtout si on se met en tête de transporter des marchandises.

    La géographie, comme partout, conditionne les déplacements des hommes, des troupeaux, et aussi… des armées et des conquêtes. Elle détermine donc l’Histoire.

    Heureusement, la minuscule rivière Oroncillo, qui est en fait un ruisseau de 21 km seulement, a fait l’essentiel du travail en creusant cet impressionnant passage en plein milieu du massif calcaire d’Obarenes, s’écoulant inlassablement du Plateau Castillan vers le Pays Basque au Nord, pour aller rejoindre l’Ebre, en bas, à Miranda de Ebro.

     

    Depuis les plus lointains peuples préhistoriques, pasteurs cueilleurs, puis éleveurs, jusqu’à la future ligne du TGV espagnol, l’ « AVE », tout le monde est passé, passe ou passera par là. Et, bien sûr, les Romains !

    Bien avant Jésus Christ, ces derniers entreprirent la construction de la Chaussée XXXIV, « Ab Asturica Burdigaliam », nommée plus tard « Via Aquitania », pour relier Astorga à Bordeaux et, devinez par où elle passait !

    Elle traversait ici la rivière Oroncillo par ce petit pont fait à sa mesure, puis rebaptisé « de la Madeleine », christianisé sans doute par des pèlerins du Chemin de St. Jacques, et aujourd’hui en ruines.

    Curieusement, ce pont n’était pas rectiligne, d’où son premier nom de «Ponticurvo », qui a donné «Pancorbo», dès le Xe Siècle.

    Puis ce furent les Wisigoths, les Musulmans, avec la Reconquête en de multiples allers-retours comme ceux d’une corde à sauter.

     

    Durant le Haut Moyen Age, Pancorbo fut pourvu de châteaux forts avec leurs garnisons, et devint un véritable bastion de la Castille des « Merindades », (les confréries d’éleveurs de moutons), sur les limites de l’ « Extremadura » de l’époque, c’est à dire la frontière entre Chrétiens et Musulmans, pillé, brûlé, rasé et reconstruit maintes fois, avec tous les drames humains que l’on imagine. « Ce sont toujours les peuples qui fournissent les morts », affirme si justement le dicton…

    Durant les époques fastes, le bourg était totalement autonome, pour son alimentation — le pain, le vin, l’élevage—, son artisanat —la laine, le tissage, les tanneries, les moulins sur le ruisseau—, son commerce, etc. Il se remplit aussi d’édifices religieux du fait du pèlerinage à St. Jacques. Une importante communauté juive —une « aljama » —, s’y installa par ailleurs, assez bien accueillie, pour ses compétences, durant les premiers temps de la Reconquête.

    Bref, un important centre régional, rayonnant sur au moins cinq agglomérations des alentours, qui fut cependant supplanté par sa voisine du sud,Briviesca, au XIVe Siècle.

    Beaucoup plus tard, des Français aussi sont passés par là, mais bien avant les touristes d’aujourd’hui. Toujours par le vieux pont romain. Et de quelle manière !

    Comme chacun sait, 1789, c’est la Révolution Française : l’horreur pour la Monarchie espagnole, incarnée à cette époque par ce pauvre Carlos IV, qui régna de 1788 à 1808, date à laquelle il fut honteusement pris en otage par Napoléon.

    En 1793 la France déclara la guerre à l’Espagne alliée de la Grande Bretagne, et les armées républicaines entrèrent dans la Péninsule par Irún : panique au Palais Royal !

    Il fallait arrêter cette peste républicaine avant qu’elle ne se dirige sur Madrid. Et, par où allaient-ils passer pour entrer en Castille ? Eh bien, oui, justement, vous avez deviné.

    On décida donc en catastrophe de bloquer le défilé par une place forte sur les hauteurs, la forteresse de Santa Engracia, qui allait soutenir le vieux château médiéval de Santa Marta, la « Porte de la Castille ».

    Le 3 septembre 1794, les travaux furent lancés : 1.455 ouvriers y furent employés, avec l’appui de 1OO mules et de 2O charrettes.

    Il fallait faire vite et, du jour au lendemain, arriva dans le petit bourg cette multitude de travailleurs, sans compter les chefs militaires qui pilotaient l’opération.

     

    L’affiche touristique apposée sur place nous indique que le recrutement se faisait sur la base du volontariat, mais aussi de la « quinte » (un homme sur cinq) et que l’on enrôlait aussi les vagabonds et les oisifs. « Les conditions exigées étaient d’avoir entre 16 et 40 ans, être catholique-apostolique-romain, mesurer au moins 1,40 m, et ne pas être, comme on disait alors « d’extraction infâme » : mulâtre, gitan, bourreau ou boucher ».

    Ce recrutement « saigna » la région de ses forces vives, et les récoltes suivantes furent mauvaises, ce qui facilita… l’entrée de l’ennemi !

    Sur place, dans la montagne, ils ne trouvèrent ni vivres, ni eau, ni logement,et il fallut tout improviser, si bien que, comme le précise une autre affiche, ils durent d’abord tout installer dans les grottes naturelles des alentours : les réserves de vivres, les cuisines, les infirmeries, les chapelles, etc., et ils durent aussi trouver des sources.

     

    Or, en 1795, les Français étaient déjà devant la ville voisine de Miranda de Ebro…

    Mais, par un extraordinaire retournement de l’Histoire, à ce moment même arriva une dépêche officielle annonçant le Traité de Paix signé à Bâle, entre la France et l’Espagne.

    Malgré cela, et « pour le cas où », les travaux continuèrent et furent terminés en 1797. Les bâtiments étaient prêts pour recevoir une garnison de 3575 hommes.

    La Trêve de Bâle permit à Napoléon d’entrer en Espagne, en 1808, soit disant pour de bonnes raisons (attaquer le Portugal, allié de la Grande Bretagne) !

    Les Français entrèrent donc à Pancorbo, et ils y restèrent jusqu’en 1813, installés comme chez eux… dans la forteresse de Santa Engracia ! Ils n’en furent chassés que par Wellington, qui laissa les lieux en piteux état.

    Une fois Napoléon parti d’Espagne, vaincu par les « guérilleros », le fils de Carlos IV, Fernando VII, monta sur le trône et rétablit l’Absolutisme le plus noir.

    Mais au bout de quelque temps, les choses tournèrent mal pour lui : les « Libéraux », héritiers des Lumières se soulevèrent et l’obligèrent à transiger un peu, ce qui, bien entendu, ne le satisfaisait pas, ni les autres Monarchies Européennes, y compris la française qui venait d’être restaurée en la personne de Louis XVIII.

    Une « Sainte Alliance », constituée par plusieurs pays européens décida donc de lui envoyer de l’aide, afin de soutenir son beau régime monarchique.

    C’est ainsi que se présentèrent en Espagne « Les Cent Mille Fils de Saint Louis », une horde de combattants hyper conservateurs, bien décidés à en finir avec les Libéraux.

    A la suite de maintes péripéties, et grâce à des promesses non tenues, Fernando VII put reprendre enfin le cours de son infâme dictature.

    Dernier épisode concernant Pancorbo : un bataillon des « Cent Mille Fils de Saint Louis » commandé par le duc d’Angoulème, entre autres sages précautions, rasa complètement le Fort de Santa Engracia, sous le prétexte qu’il aurait pu devenir le repère de Libéraux rebelles… Curieux destin de ce fort !

     Faisons un saut dans le temps : en 1951 la Route Nationale 1  vient de sortir du bourg de Pancorbo.

    Depuis 1974,l’Autoroute A1 en a presque définitivement éloigné le trafic, et ce sera bientôt pire avec le TGV…

    Le petit pont romain ne voit plus passer presque personne, mis à part un rare trafic local piétonnier.

    Le village, maintenant isolé, encaissé là-bas au fond de son étroite vallée, stagne ou s’étiole, avec à peine 6OO habitants.

    Les ruines du fameux Fort de Santa Engracia, qui ne servit que pendant une quinzaine d’année (et encore seulement pour abriter l’ennemi !), dépassent d’à peine un mètre du sol !

     

    Seuls subsistent les fantômes de si grandioses, de si tragiques épopées… Que sont devenus les immenses troupeaux des transhumances, les fiers guerriers celtes, les Légions et les chars romains, les hordes des Wisigoths casqués et celles des Musulmans barbus, les Chevaliers de la Reconquête, les interminables convois royaux, les troupes napoléoniennes et les terribles embuscades des guérilleros qui devaient en venir à bout, sans parler des faméliques combattants de la Guerre Civile ?

    Eh bien, qu’à cela ne tienne ! Le Tourisme local a décidé de les ressusciter, et de les mettre en vente ! Explicitement. On peut lire sur un site Web officiel consacré à Pancorbo, la déclaration suivante :

     « Première Reconstitution de la prise du Fort de Santa Engracia

    Le 30 juin 2013 marquera le second centenaire de « La reddition de la forteresse de Santa Engracia, de la part des troupes napoléoniennes, aux troupes espagnoles du Comte de La Bisbal », inscrite dans le théâtre des opérations de la décisive bataille de Vitoria.

    Les 15, 16 et 17 avril 2011 a eu lieu la Ière reconstitution de la prise du fort de Santa Engracia et de la fin de l’occupation napoléonienne.

    En plus de rappeler le fait historique, nous réussirons à susciter l’intérêt pour les ruines de la forteresse de Santa Engracia, qui, à la suite de l’intervention pour stabiliser ses restes et de sa mise en conformité comme zone à visiter, devient une référence touristique obligée pour les visiteurs de Pancorbo.

    Pour le développement de ce projet, il s’agira d’impliquer la population, en espérant qu’elle sente cette célébration comme quelque chose qui lui appartient vraiment"

    Images des reconstitutions

     

     

     

    « A quelque chose malheur est bon », en ces temps de crise ! Non ?

    Faut-il pour autant avoir la nostalgie du « bon vieux temps romantique » ?

    Daniel D.

     

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :