• La Mosquée-Cathédrale de Cordoue : un lieu de pouvoirs

    La Mosquée-Cathédrale de Cordoue : un lieu de pouvoirs

    La Géographie, ça sert à faire la guerre.
    Les Religions aussi.

    Commençons par la Géographie.

    Le tracé du Guadalquivir est frappant : il longe de très près la Sierra Morena dont il ne s’éloigne qu’en s’étalant dans son delta, vers Sevilla. Et il est exposé « au chaud », bien protégé, en plein Sud.
    Voilà le lieu, pratiquement inchangé depuis le temps des premiers Hommes qui, s’ils n’avaient, bien sûr, pas pu voir cette carte, connaissaient fort bien le terrain.

    Qui étaient-ils ?
    Les plus anciens qui nous soient connus, ou supposés, étaient des Néanderthal chasseurs-cueilleurs, puis des pasteurs pratiquant la transhumance.
    Comme partout, il faut considérer que les fleuves sont avant tout des obstacles, parfois infranchissables. La seule solution, pour des peuples dépourvus des techniques adéquates, c’est de repérer des gués qui vont, petit à petit, concentrer tous les chemins, formant des tracés qui se sont conservés identiques, jusqu’ à nos jours.

    Observons l’emplacement de la Mosquée-Cathédrale :

    On se rend compte immédiatement que le Guadalquivir s’étale ici sur un haut fond qui constitue bien évidemment un gué ! Et l’on imagine facilement aussi les troupeaux le traversant pour aller chercher une peu d’herbe sur la montagne, au loin, lors de la saison sèche.

    Il n’en faut pas plus pour que, le temps passant, surtout l’évolution vers l’agriculture —Encore Abel et Caïn !— ne poussent les Hommes à construire là des systèmes de protection des récoltes, ainsi que des lieux de culte, pour les renforcer en les sacralisant. Et pour se taper dessus !
    Ces tout premiers lieux de culte restent inconnus à ce jour.

    Plus tard, grâce aux ressources minières locales, la métallurgie du cuivre et de l’argent s’est développée, et l’on considère que des populations se sont fixées sur ce site vers le IIIe Siècle Av. JC.
    Une hypothèse concernant la première ville indique qu’elle s’appelait « Kart-Juba », « La Ville de Juba », du nom d’un général conquérant numide (un Berbère allié des Carthaginois) mort au combat dans la région.
    Les habitants en étaient « considérés comme les plus cultivés des Ibères car ils connaissent l'écriture et, d'après leurs traditions ancestrales, ils ont aussi des chroniques historiques, des poèmes et des lois en vers qu'ils disent dater de six-cents ans » (Strabon, III,1,6).

    Les Romains arrivèrent sur place en 206 Av. JC.
    En bons stratèges, dès le Ier Siècle ils construisirent un pont de 331m de long, en amont du gué, sur le fleuve qu’ils nommèrent Bétis..

    En 169 Av. JC., la ville romaine de « Corduba » fut fondée, près de l’agglomération ibérique.
    De très nombreux monuments publics furent élevés à cette même époque, disparus aujourd’hui.
     Par exemple, un temple, entièrement réalisé en marbre très finement sculpté par les meilleurs artisans de l’Empire, associé à un cirque, le tout dédié au culte des Empereurs divinisés. Nous retrouverons bientôt ses colonnes...


    Corduba se développa ensuite jusqu’à devenir la seconde ville de l’Empire Romain, juste après Rome ! C’est ainsi que sa population put dépasser les 250.000 habitants, et qu’elle put s’offrir, entre autres nombreux édifices cultuels et festifs, un amphithéâtre capable de recevoir 35.000 spectateurs au moins...
    Et le niveau culturel, sur tous les plans, était à la hauteur de l’ensemble de cette ville devenue Capitale de Province.
    Malheureusement, la décadence guette toujours les plus belles civilisations !

    Parallèlement, depuis longtemps déjà, le Christianisme se développait dans l’Empire où il fut durement persécuté à partir du Décret Impérial de 303. C’est ainsi qu’au tout début du IVe Siècle apparurent les premiers Saints, Acisclo et sa soeur Victoria, martyrisés sur place.
    Conscient du déclin de l’Empire et du développement de ce mouvement religieux, l’empereur Constantin opéra un spectaculaire retournement : il fit du christianisme —auquel il ne croyait pas !— une Réligion d’Etat, pour tenter de recadrer ses populations et de les galvaniser autour d’un seul mythe fédérateur. Cela se produisit à partir du Concile de Nicée (325), et fut confirmé par l’empreur Théodose.
    Or, la tradition veut que l’initiative de ce Concile ait été soufflée à Constantin par l'évêque de Cordoue, qui le présida, le futur San Osio, né dans cette ville au sein d’une famille aristocratique chrétienne, et mort à 101 ans, en 357 ! San Osio serait aussi l’auteur du Crédo catholique que l’on récite encore aujourd’hui. Cela montre clairement le niveau intellectuel de la population !
    Mais l’Empire n’en fut pas sauvé pour autant.

    Malgré sa décadence liée à celle de l’Empire, c’est une ville encore de toute première importance que les Vandales vont « vandaliser » —évidemment !— en 411.
    En arrivant, les Wisigoths étaient Ariens (ils ne croyaient pas à la divinité du Christ), et la ville qui avait été violemment opposée à l’arianisme, sous l’égide de San Osio, structurée à la romaine, et soutenue par les gros propriétaires terriens, leur opposa une farouche résistance.
    Mais, tout « vandales » qu’ils aient été, les Wisigoths n’étaient pas complètement idiots, et ils comprirent rapidement que la culture et l’organisation socio-politique romaines avaient du bon ; ils en conservèrent donc l’essentiel, sauf la religion, simplement en prenant la place des chefs !
    Cependant, une de leurs spécialités était la lutte entre factions rivales. A l’issue de l’une de ces batailles, au VIe Siècle, Corduba passa sous la domination de Tolède, devenue capitale du royaume wisigothique.
    C’est à cette époque-là que se produisit un nouveau retournement religieux décisif : le roi Récarède (559-601), comprenant qu’il n’arriverait pas à convertir la population à l’arianisme, décida de se convertir lui-même au catholicisme, en 587. Que ne ferait-on pas pour conserver son pouvoir ?
    A partir de la conversion de Récarède, les lieux de culte catholique se multiplièrent dans Cordoue.

    Le plus célèbre et le plus important, disparu aujourd’hui, est la Basilique de San Vicente Mártir exécuté en 304. Il fut construit sur les bases d’un ancien temple romain dédié à Sol Invictus, ou à Janus, et devint le centre religieux de la ville.
    Nous le retrouverons bientôt, dans cette logique universelle de la permanence des lieux de pouvoir, et de leur systématique recouvrement par d’autres : celle... du chien qui pisse sur un poteau !

    Restes de la Basilique de San Vicente Mártir, où l’on voit que tous les personnages ont été défigurés.

    Les Wisigoths sombrèrent eux aussi dans la décadence.
    Il n’en fallait pas plus pour que l’Islam, qui avait déjà conquis tout le Maghreb, ne se prépare à traverser le Détroit de Gibraltar.
    Ce fut chose faite en 711.
    Les rivalités, les dissentions, les conflits amoureux des chefs, les luttes tribales fratricides, les trahisons, ouvrirent l’Espagne toute grande à une horde d’analphabètes fanatisés, majoritairement des Berbères, qui entrèrent là, parce que la porte était ouverte, aidés aussi par les Juifs de l’intérieur qui se vengeaient ainsi des sévices infligés par les Wisigoths, pour effectuer quelques bonnes « razzias » —le mot est d’origine arabe !—. Et ils y restèrent presque 800 ans !
    Ils apportaient aussi, bien évidemment, leurs coutumes religieuses.
    Dans un premier temps, il semble que des négociations, sur la base de la dhimmitude, aient été menées pour partager les lieux de culte entre Catholiques et Musulmans. « Baise la main que tu ne peux pas couper » : vous connaissez le proverbe ?

    En 755 débarquait à Almuñécar le prince omeyyade, Abderramán Ier, seul rescapé du massacre de sa famille à Damas par la tribu rivale, les Abbassides.
    Il trouva l’Espagne, devenue Al Andalús, en proie à un désordre considérable parmi les petits rois rivaux installés à la place des dignitaires wisigoths : Berbères, Yéménites, Syriens, Egyptiens, etc., les Arabes proprement dits étant nettement minoritaires.

    Ayant pris le pouvoir à Cordoue, il s’attacha à structurer « son » royaume. C’est dans ce contexte qu’il entreprit d’édifier la Mosquée en 785.

    Or, cette Mosquée présente des particularités difficilement explicables, par exemple son orientation : elle n’est pas tournée vers La Mecque, mais vers le Sud. Pourquoi ?
    La querelle des hypothèses tourne actuellement à la guerre de religions. Mieux vaut ne pas s’y laisser prendre ! Le plus sûr est d’en revenir au chien qui pisse sur le poteau : toutes les religions ont recouvert par les leurs les lieux des anciens cultes !
    La Basilique de San Vicente Mártir a donc forcément été recouverte par la Mosquée, juste en procédant à un réaménagement intérieur, par une translation de 90° de son axe, sans toucher les murs, par commodité, et afin qu’elle ne soit pas orientée vers l’Est des Chrétiens.

     

    Une autre question cruciale : il est avéré qu’au moins une colonne de l’édifice provient d’un temple romain. Et elle n’est pas la seule.
    Cette colonne a exactement la même hauteur que toutes les autres. Alors ?
    Il faut bien se rendre à l’évidence : les autres ont obligatoirement été façonnées sur ce modèle.
    Il semble qu’une entreprise de récupération massive de colonnes de provenances diverses ait été mise en place. A cela se sont ajoutées bien sûr des réalisations supplémentaires menées à bien par les artisans locaux, traditionnellement bien formés à cet ouvrage. C’est qu’il y avait du pain sur la planche, pour façonner les 1013 colonnes que compta la mosquée à son apogée!

    Chaque souverain musulman apporta ensuite sa touche personnelle, comme démonstration de son pouvoir : embellissement, agrandissement, etc.
    Ainsi, le féroce dictateur Almanzor (938 – 1002) en fit doubler la surface jusqu’à la porter à 23.400 mètres carrés, soit presque 4 stades de foot, —ah, oui, quand même !—, à l’image de sa puissance de guerrier impitoyable destructeur d’ « infidèles » qui y fit apporter à dos des prisonniers catholiques les cloches de St Jacques de Compostelle, pour en faire... des lampes à la gloire d’un autre dieu.

    En 1212, les Chrétiens réussirent à mettre en place une vaste croisade pour en finir avec l’envahisseur.
    Le choc se produisit au pied du col de Despeñaperros le bien nommé (« Précipice des chiens »), à Las Navas de Tolosa, pas très loin de Bailén où Napoléon subit lui aussi une cuisante défaite.
    La déroute de l’armée almohade annonça la fin de la domination musulmane.
    En 1236, Cordoue était reconquise et bien sûr tous les symboles de l’ennemi furent investis. La plupart des mosquées andalouses furent détruites, mais un autre sort était réservé à celle qui nous intéresse ici, ce qui en fait un monument unique au monde.

    Tiédeur religieuse, respect de la beauté architecturale, limitations financières, ostentation et symbole politique ? Tout cela à la fois ?Toujours est-il que, sans la détruire, les rois chrétiens vainqueurs firent aussitôt aménager des chapelles un peu partout dans la mosquée, afin d’y implanter le nouveau culte.

    Au XVIe Siècle, le clergé zélé, précédant la Contre Réforme, se mit en tête de greffer une cathédrale sur la mosquée. Cela souleva de nombreuses polémiques auquelles Charles Quint dut mettre fin en autorisant, de loin, les travaux en 1523. Et le pauvre homme devait le regretter ensuite, en voyant le résultat, dans ces termes que l’on cite toujours : « Habéis destruido lo que era único en el mundo, y habéis puesto en su lugar lo que se puede ver en todas partes ». (Vous avez détruit ce qui était unique au monde, et vous avez mis à la place ce que l’on peut voir partout.)

    Voilà, cela fait aujourdhui 778 ans que l’ancienne Mosquée Alhama - Basilique de San Vicente Mártir - Temple de Sol Invictus - Oratoire Néolithique, est aux mains des Catholiques, et les chiens pissent encore dessus, alternativement !

     

                                                                                 

                                               Le clergé catholique réaffirme son droit de possession.             « IU » (La Gauche Unie) tombe le masque et réclame le culte musulman dans la mosquée. »

                                                                                                                                        « Nous voulons la mosquée pour la prière islamique. »

    Ah, si Néanderthal revenait, que ne demanderait-il pas ?
    Mais, on n’en est plus aux guerres de religions, tout de même ! Vraiment plus ?

    Daniel D.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :