•  La Semaine Sainte et les Militaires

    Voici la bonne nouvelle : « La présence de militaires dans les processions de la Semaine Sainte augmente de 10%. » L’article est de 2012, et le calcul est fait par rapport à 2011. « ABC » note aussi que, depuis 1994, la présence des Forces Armées est «volontaire» dans les processions.

    « En vérité, je vous le dis, je n’ai pas trouvé, même en Israël, une si grande foi. » (Matthieu 8.5-13), déclare Jésus, à propos d’un soldat romain dont il avait guéri le serviteur.  Ne soyons pas manichéens : on peut, sans  doute, créditer ces pittoresques légionnaires d’une foi aussi grande que celle du soldat romain. A titre individuel, ils sont sûrement là pour ça.

    Gageons que cela les aide beaucoup à dépasser leurs histoires personnelles parfois bien scabreuses et chaotiques, et à se reconstruire. Ils vivent ici leur grande fête, au degré primaire de la catharsis : respectons-les ; ce ne sont pas leurs vies privées qui nous regardent. Ce sont les structures politico-religieuses et les symboles correspondants, tout ce qui les formate, qui nous intéresse. Les « superstructures » comme disait l’autre ! Depuis que l’Homme a l’esprit grégaire —et ça remonte loin !— les attroupements, meetings et autres processions ont été des pratiques courantes, constitutives même des sociétés. En Espagne, le phénomène a pris une signification particulière et fondatrice, dès le début de la Reconquête, dans le contexte d’un catholicisme militant et guerrier. Ce n’est pas par hasard si le Saint Patron en est Santiago Matamoros —le Tueur de Maures— avec son emblème, la croix en forme d’épée. Scandaleux oxymore...

       

    C’est tellement vrai qu’aujourd’hui encore, comme on le voit, « le sabre et le goupillon » sont pleinement d’actualité au coeur de la Semaine Sainte.

    Les premières allusions attestées, concernant les processions, suivent donc l’itinéraire et le calendrier de la Reconquête. C’est ainsi que l’une des plus anciennes a été trouvée à Zamora. Le document date de 1179. Il confirme le parcours et les modalités d’un défilé religieux, « ainsi que cela a toujours été pratiqué et autorisé par le Conseil » ; cela en repousse donc l’origine beaucoup plus haut. Mais il n’est pas question de militaires dans ce texte.

    Les innovations survenues dans ces festivités au cours des siècles ont souvent été d’initiative populaire. Elles l’ont été, bien sûr, dans un contexte social, religieux, politique qui, imprégnant fortement les gens à leur insu, leur donnait l’impression de « libre choix » sincère, en même temps que se manifestait dans leurs apports une claire adéquation avec l’air du temps.

    « Quand je pense —être libre—, qui pense ? », demande le philosophe... Les pouvoirs en place n’avaient plus qu’à trier et à magnifier les initiatives qui pouvaient le mieux servir leurs intérêts. Vous auriez fait de même, non ?

    Les premières processions organisées et codifiées ont été consacrées au « Corpus Christi », le coeur même de la doctrine catholique, selon laquelle le corps et la pensée du Christ qui font un tout indissociable, sont présents dans l’Eucharistie. Il s’agissait de contrer les hérésies, tel le « docétisme », qui le nient.

    Instituées par le pape Urbain IV en 1264, elles devaient se limiter à montrer au peuple la seule Ostie Consacrée, dans sa châsse.

    Mais les populations avaient encore un caractère naturellement médiéval, c’est à dire très festif, païen, paillard même. Petit à petit apparurent des images pieuses, certes, mais aussi des personnages carnavalesques : des masques, des diablotins, des géants, des dragons, des tarasques, etc., accompagnés de chants, de bals et de sarabandes qui finirent par détourner les braves fidèles — évidemment friands et complices de ces réjouissances— de l’essentiel de la doctrine...

    Plus tard, au cours des temps, se formèrent des corporations, des congrégations, des confréries qui instituèrent, pour leur propre usage, des processions similaires.

    C’était sans doute trop beau ! Le Conseil de Castille tenta donc d’y mettre fin en 1533, mais sans beaucoup de succès....

    Le Concile de Trente (1545 – 1563) s’efforça de recentrer les défilés sur les seules images pieuses. Mais pendant deux siècles encore, l’Eglise dut supporter, —rendez-vous compte !—, des danses d’hommes et de femmes masqués, équivoques ou même obscènes, autour des processions...

    Il fallut attendre les Bourbons, oui, les descendants de notre Louis XIV, pour que les processions du Corpus, et les autres, soient enfin débarrassées de ces relents festifs et païens. Et le remède fut, comme c’est souvent le cas, bien pire que le mal...

    Par Ordonnance Royale de 1768, le roi Carlos III introduisit le loup dans la bergerie.

    L’Armée qui, jusque là, n’était chargée que de faire respecter, de l’extérieur, le bon déroulement et la bonne humeur des processions, y fut introduite pour exercer, de l’intérieur, une sévère répression : chasser tous ces indésirables démons, « manu militari », c’est le cas de le dire. Elle y entra en 1768, et... elle n’en est plus jamais ressortie ! L’ordre est entré, et la réjouissance du coeur est partie, celle de la « Bonne Nouvelle », définitivement remplacée par le sinistre dolorisme obscène du baroque de la Contre Réforme.

    Ce sera la porte ouverte à des aberrations à la fois théologiques et politiques... Pour être plus clair, il nous faut dire ici quelques mots concernant la procession du « Cristo de la Buena Muerte », à Málaga, « Mecque » des Légionnaires, et emblématique synthèse de tout ce que représente le « National Catholicisme ».

    La Légion espagnole compte dans ses rangs deux des personnages les moins présentables du XXe Siècle dans ce pays : le Général José Millán Astray, son fondateur en 1920, dont la célèbre devise était « ¡Viva la muerte ! », et le non moins célèbre Francisco Franco qui lui succèdera à ce poste en 1923 !

    La fondation de ce noble corps est due au fait que l’armée espagnole, n’arrivant pas à s’imposer dans ses colonies nord africaines, décida de se doter de professionnels taillés à la mesure de l’adversaire, et capables de rivaliser avec lui en brutalité sanguinaire. Le résultat dépassa toutes les espérances. La preuve en fut donnée lors de la répression des grèves de mineurs aux Asturies, en 1934. Revenons à Málaga, en 1925. Des responsables locaux souhaitaient donner aux fêtes de la ville un rayonnement comparable à celui de San Sébastián et de Nice, en pointe à cette époque-là. Ils se déplacèrent donc à Madrid, afin d’inviter des personnes illustres qui, par leur présence, rehausseraient les processions de la Semaine Sainte. La moisson n’aurait pu être meilleure dans le plus beau de leurs rêves: le Chef de l’Etat (un peu dictateur), Général Primo de Rivera, le Général Sanjurjo, Chef de l’Armée d’Afrique, et le Lieutenant Général Franco, Chef de la Légion !

    Tout ce beau monde sympathisa avec l’Evêque local et présida toute la procession du « Christ de Mena » (son sculpteur), ou « Cristo de la Buena Muerte », au son des trompettes de la Légion. Ce ne fut que le début d’une extraordinaire histoire d’amour qui dure encore aujourd’hui !

    Le malheureux Christ « de la Bonne Mort » est ainsi devenu le Saint Patron de la Légion. Il a même, dit-on, été enrôlé dans la Compagnie, sous le nom de « Jésus de Nazareth, fils de Joseph et de Marie, âgé de 33 ans » ! Grâce à cela, il doit maintenant subir chaque année, pendant la procession, l’intégralité de leur hymne officiel braillé par les soudards : « El novio de la muerte » (Le fiancé de la mort), titre aberrant, parfaitement accordé cependant avec la devise de Millán Astray, qui avait lui-même choisi ce chant.

    Ça fait vraiment beaucoup de mort, tout ça ! Il est vrai que, durant la Semaine Sainte, les processions de « Jésus Ressuscité » n’occupent proportionnellement, ni guère de place ni guère de temps... La Contre Réforme est passée par là !

    Inutile de dire que la dictature franquiste a été l’époque la plus faste de l’Histoire pour la création de processions nouvelles, pour les privilèges accordés aux Armées dans l’Eglise, et réciproquement : c’est le « National Catholicisme », qui structure encore tellement les esprits, inconsciemment et en profondeur, que le débat reste strictement enfermé dans son champ sémantique pervers, tant chez les « pour » que de chez les « contre », tant chez les religieux que chez les laïcs.

     Un exemple : le mot « laicidad » vient tout juste d’entrer dans le « Diccionario de la Real Academia Española », en 2014, dans sa 23e Edition encore inédite...

     En son absence, tout le monde parle de « laïcisme ». Or, méfions-nous bien des réflexions simplistes : ce n’est pas une affaire de modes ou de mots; c’est la structure même de la pensée et du raisonnement qui sont en jeu. Le suffixe « isme » induit à la fois des dimensions d’idéologie militante et d’intolérance.

     Alors, comment « penser » sereinement la laïcité avec cet outil ?

     Les quelques rares « collectifs » qui s’opposent à la présence de militaires dans les processions, au nom de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, sont donc bien évidemment traités de «laïcistes», c’est à dire, au bas mot, d’ennemis de l’Eglise, sinon d’ennemis de Dieu lui-même !

    Par contre, personne ne remettrait en cause, tellement « cela fait partie des traditions » et n’a ni entrée ni lieu d’existence dans le champ de la réflexion formatée, le monstrueux rapprochement « Jésus/militaires»... 

    Et surtout pas à Málaga ! Voici une « capture d’écran » du portail de leur Semaine Sainte, en 2014 ! J’ai surligné deux passages que je traduis : « Au cours de l’année 1931 éclate la République », et « Après la libération de Málaga par les troupes franquistes».

     

    Vous pouvez traduire le reste, « no tiene desperdicio », comme on dit en espagnol ! Et s’il vous reste un peu d’appétit...

     

     Revenons à la bonne nouvelle du début —sans majuscules, eh !— : après la difficile période au cours de laquelle les malheureux socialistes ont confondu, et pour cause, « laïcité » et « laïcisme », l’Armée va enfin réintégrer les processions !

    Et c’est que, surmontant avec un génial bonheur les querelles politicoreligieuses, l’oecuménisme du négoce touristique est en train de réconcilier les masses: il faut sauver le spectacle, coûte que coûte.

    Rien au monde ne saurait justifier de tuer cette poule aux oeufs d’or !

    Permettez-moi de conclure, avec ce grapheur anonyme, de Zamora: « ¿Me habré muerto sólo para salvar el turismo ? » Je serai donc mort seulement pour sauver le tourisme ?

    Daniel D.

     

     

     


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    Piornales : savent-ils ce qu’ils font ?  Carnaval - Piornales 

    Comme on est loin des touffeurs ramollissantes de l’été des plages de la Méditerranée !

    Aux coins des rues ventées de ces villages de montagne, en janvier, le froid bleu d’acier coupe les chairs comme un rasoir. On dit la-bas « Hace un frío que afeita ».

    C’est le cœur de l’hiver, l’époque des Carnavals

    Piornales est un village de la Province de Cáceres, situé à 1175 mètres d'altitude. Son nom provient de « piorno », le genêt, plante des terres pauvres. Il compte environ 1500 habitants

     Étant donné l'isolement dans lequel il a vécu depuis ses origines —la route n'y a accédé qu'en 1927—, il a conservé d’archaïques traditions exceptionnellement intéressantes.

    C'est le cas du « Jarramplas », personnage tellement mystérieux qu'on se demande si les protagonistes de la fête eux-mêmes savent qui il est, et ce qu'ils font « depuis toujours », les 19 et 20 janvier de chaque année...

    Tout l’événement s’inscrit dans une conception cyclique du temps: la fête de l’année suivante commence à l’instant même où se termine celle de l’année en cours, sans aucune rupture.

     Le nouveau Majordome, qui est le responsable des festivités et qui en paye les frais, accueille chez lui le Jarramplas sortant, récupère son costume et offre un casse-croûte aux autres organisateurs: pain, vin, fromage et jambon de “lomo”.

    On planifie déjà les activités à venir: confection d’un nouveau costume complet, avec le masque —très important—, le tambourin, le gourdin, la répétition des chants (les Alboradas ou “Alborás” avec l’accent local), etc.

    Le costume du Jarramplas est constitué d’une veste et d’un pantalon blancs —qui ne le resteront pas longtemps...— où sont cousus, par les femmes, des centaines de rubans ou coupons de tissu multicolores.

     

    Carnaval - Piornales

    Le masque a une forme conique; il est surmonté de deux énormes cornes de bovidé et porte un immense nez. Du haut de sa pointe pendent les crins d’une queue de cheval. Il est construit par les hommes et il pèse environ 10 kg., pour bien tenir en place.

    Sous le costume, on place depuis quelques années une sorte de cuirasse en fibre de verre, qui protège l'acolyte des coups trop violents, mais complique ses mouvements.

    Le matin du 19 janvier, le Jarramplas, encore sans son masque, accompagné du Majordome parcourt les rues du village pour glaner des mets et de l’argent destinés préparer les “migas” qui seront offertes le 20

    Vers midi, le Jarramplas, masqué cette fois, effectue sa première sortie, en jouant du tambour. Les enfants et les jeunes commencent à lui lancer des navets, tandis qu’il fait mine de se défendre avec son gourdin. De temps en temps, il se réfugie dans une maison ou dans un bar, pour y “reprendre des forces”...

     L’après-midi, il se dirige vers l’église, toujours sous une dense avalanche de navets.

     Puis, Saint Sébastien sera descendu de son trône, vêtu de son habit d’apparat, et il sera placé sur sa litière d’où il présidera les cérémonies du lendemain.

    A la tombée de la nuit, les cloches sonnent à la volée et le Jarramplas, tête nue, parcourt les rues accompagné par des enfants qui chantent.

    Lorsque minuit approche, tout le village se masse à la porte de l’église, et Jarramplas fait son apparition, accompagné du Majordome, en chantant:

    A la puerta la iglesia,

    vamos ahora,

    a rezar una Salve

    a Nuestra Señora.

    À la porte de l’église,

    Allons maintenant,

    Réciter un Salve Régina

    À Notre Dame.

    En attendant que retentisse le dernier coup de minuit, on récite trois “Je vous salue Marie” et le “Salve Régina”. C’est alors que Jarramplas, tête nue, se met à marcher pour la première fois à reculons, en jouant du tambour.  

    A ce moment-là, les assistants commencent à entonner les “Alborás”, et partent faire le tour du village, en gardant le rythme, jusqu’à leur retour à l’église.

     La nuit sera courte... En effet, dès les premières heures du lendemain, le Majordome offrira les “migas”, bien arrosées de vin, à tout le village! Les “migas” sont une préparation à base de petits cubes de pain, frits à la poele dans de la graisse de porc, avec du piment, de l’ail et du sel, et un peu d’eau en fin de cuisson.

    Vers dix heures, conduite par Saint Sébastien, la procession part de l’église et Jarramplas, tête nue, chemine à reculons, juste devant le Saint, sans le quitter des yeux une seconde, comme s’effaçant devant lui.

    A la fin de la procession, la litière du Saint est mise aux enchères, et le gagnant remporte le privilège de la reconduire dans l’église où la messe sera dite peu après. Un chant les accompagne, entonné par des jeunes filles et un enfant qui répète le dernier vers de chacune des strophes séparées par un roulement du tambour de Jarramplas.

    A la guerra, a la guerra

    y al arma, al arma,

    Sebastián valeroso

    venció batalla.

    À la guerre, à la guerre,

    Et à l’arme, à l’arme,

    Sébastien courageux

    A gagné la bataille.

    Le rythme du chant s’accélère progressivement, ce qui a pour effet d’échauffer les fidèles, et de les inviter à sortir pour se masser à la porte, car Jarramplas va revenir.

    C’est le moment le plus intense et le plus significatif de la fête.

    Tout est prêt: les jeunes ont recouvert la place de monceaux de navets —on en utilisera une vingtaine de tonnes pour toute la fête!—. Le suspens est à son comble.

    Les esprits sont chauffés à blanc, et, subitement, Jarramplas sort de l’église.  

    L’attaque la plus violente peut commencer, au gré des manœuvres erratiques du personnage, vers l’avant, l’arrière, les côtés, le haut, le bas, sans un instant de répit, pendant des heures, jusqu’à épuisement complet du malheureux qui repousse d’autantplus loin ses limites que son prestige est en jeu...

    On calcule qu’il aura reçu en deux jours quelque 20.000 impacts! Sans compter les grossièretés, les invectives, les injures...

    Mais ce n’est pas fini car l’après-midi, Jarramplas assistera au Rosaire, à de nouvelles enchères et au retour du Saint sur son trône. Il lui restera encore à effectuer une dernière sortie.

    Carnaval - Piornales

    Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il pourra enfin gagner le domicile du futur Majordome.

     Jarramplas aura joué son rôle immémorial, et le cycle rituel sera bouclé pour une année entière!

    Et, si on essayait d’y voir un peu plus clair?

    Pour y comprendre quelque chose, il ne faudra pas trop compter sur les participants, ni sur les reporters ou présentateurs des différents médias. En effet, on a toujours droit de leur part à des commentaires impressionnistes, affectifs ou sentimentaux, hagiographiques, fièrement identitaires, nostalgiques, folkloriques, emphatiques, rarement et pauvrement analytiques et toujours irrationnels... Ils sont parfois fondés sur d’absurdes légendes moralisantes, déformées et propagées par l’Eglise, et répétées en boucle. Voici un exemple d’explication très souvent entendue: il s’agirait du “typique voleur de bestiaux qui est soumis au châtiment et aux vexations des villageois. La légende raconte que le Jarramplas volait des bestiaux et qu’un jour tous les habitants de Piornal se vengèrent en jetant sur lui des végétaux”.

     On entend même parler de “souffrance consentie par un innocent pour le salut de la collectivité”. On voit bien ici le jeu syncrétique.

     La lecture de cette fête est pourtant bien simple.

     Elle tourne autour de deux axes principaux, deux religions en tension syncrétique bien active depuis presque deux millénaires: l’une qui nous vient de la nuit des temps néolithiques, celtique sans doute et carnavalesque à l’évidence, et l’autre qui coexiste avec elle, vaille que vaille, faute d’avoir pu l’éradiquer: la catholique. “Baise la main que tu ne peux pas couper”, dit le proverbe!

     Une religion archaïque, celle du bouc émissaire qui, grâce à son exceptionnel état de conservation, en met en scène la principale caractéristique, celle de la lapidation.

     On sait que ces religions “premières” avaient pour origine le meurtre collectif du bouc émissaire chargé par le groupe lui-même de toutes ses propres turpitudes. Grâce à l’exécution collective qui engageait anonymement tous les participants, la population se soudait par sa complicité partagée dans ce meurtre libérateur. C’est d’ailleurs l’origine du mot “communication”: “cum-munis” qui signifie contagion réciproque et collective.

     Le Jarramplas “meurt” symboliquement d’épuisement à la fin de la fête; c’était, mais pour de vrai, le lot du “pharmakos” des Grecs anciens.

    Et il y a un autre indice très fort celui-là, et souvenez-vous de l’importance donnée au masque: ce sont les cornes.

    Nous sommes ici en plein Carnaval, c’est à dire en pleine civilisation celtique. Contrairement à ce qu’on a voulu nous faire croire, le mot “carnaval” ne vient pas de “carnis / carne”, la viande dont on serait privé durant le Carême et autre fariboles, mais du dieu celte Cernunnos. La racine sanscrite KRN le montre bien, que l’on retrouve dans KeRNunnos, KaRNe, KoRNe (KueRNo en espagnol), KaRNaval, mais aussi dans KouRoNNe, et bien d’autres mots encore.

    Autrement dit, le Carnaval est l’ancienne religion celtique diabolisée par l’Eglise Catholique. La “marche arrière” de Jarramplas en fait foi car, tout ce qui est à l’envers symbolise le diable!

    Le mécanisme du syncrétisme.

    A partir des empereurs romains Constantin (272 – 337) avec le Concile de Nicée (325), puisThéodose (347 – 395), le Catholicisme devient religion d’Etat et va s’imposer par tous les moyens dans l’Empire.

    Tout est bon pour faire disparaître les religions locales, entre autres méthodes les mépriser en les nommant “païennes”, du latin “paganus” qui signifie villageois, donc “plouc”, les diaboliser en traitant de sorciers/sorcières leurs différents dignitaires, mais aussi —et c’était là l’une des habiletés colonisatrices des Romains—, les recouvrir par un nouveau culte, plus ou moins ressemblant et compatible avec l’ancien.

    L’exemple de Piornales est un vrai cas d’école!

    Et c’est Saint Sébastien qui est mis face au Jarramplas.

    Les antiques festivités rituelles et carnavalesques du monde rural avaient lieu au cœur de l’hiver, saison très dure à tous points de vue, hiver dont il fallait hâter la fuite par des pratiques magiques. Or, comme par hasard, la fête catholique de Saint Sébastien tombe le 20 janvier.

    Et Saint Sébastien est légendairement connu pour avoir été attaché à un poteau et criblé de flèches, car au début des années 300, il défendait ses croyances chrétiennes face à un Empire Romain qui n’avait pas encore tourné sa veste... Une vraie lapidation!

    On chante même cela rituellement dans la “Rosca”, au cours de la fête:

    Le amarraron a un tronco

    y alli le dieron

    la muerte con saetas,

    verdugos fueron.”

    Ils l’attachèrent à un tronc

    Et là lui infligèrent

    La mort avec des flèches,

    Bourreaux ils furent.

    Or, ce qui se passe à Piornales, c’est que l’Eglise Catholique n’a pas vraiment ou même pas du tout réussi à éradiquer la religion “païenne”, et que l’on assiste à un ballet où, certes, le Jarramplas semble faire allégeance au Saint Patron, mais pas trop, pas vraiment.

    On se demande même, au train où vont la “déchristianisation” en Espagne, et la frénétique recherche identitaire, qui va gagner des deux...

    Un thésard local, Sebastián Díaz Iglesias, qui enquêtait sur le terrain à Piornales rapporte cette anecdote: “Un beau jour, il y a peu de temps, dans un bar de Piornales, alors que Jarramplas venait juste de s’y replier pour se reposer un peu, un homme s’approcha de moi et m’invita aimablement à deux chose: une bière et cesser de poser des questions aux gens à propos de Jarramplas parce que, me dit-il, faire des recherches sur la fête était ce qui pouvait lui faire le plus de mal.”

    Cette anecdote rapportée par ce jeune anthropologue va peut-être plus loin qu’il ne le croit lui-même.

    En fait, ce qui compte pour les piornalegos, c’est de vivre pleinement leur fête au premier degré, naïvement, viscéralement, dans le plus total irrationnel, ce qui est la seule manière qui vaille, car être spectateur de la fête n’a plus aucun sens et n’apporte aucun bénéfice cathartique. La vivre dans cette ignorance ancestrale est ce qui a permis de nous la conserver si pure.

    Ce qui est préoccupant cependant, c’est que cette “pureté”, cette “authenticité” festive est entièrement construite sur de l’artificiel, du faux, du fabriqué, du mensonge.

    Nous sommes actuellement à un carrefour “apocalyptique” au vrai sens du mot (“la fin des choses cachées”). Peut-on continuer à vivre sur les bases d’une structuration institutionnelle violente de la violence du chaos?

    Si Dieu existe, il doit bien avoir son idée là-dessus, mais je crois fort que l’ordre sacrificiel n’est vraiment pas son truc.

    Daniel D.

     

    http://www.youtube.com/watch?v=nN9YmXzvtoQ


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  • Piornales : savent-ils ce qu’ils font ?  Carnaval - Piornales 

    Comme on est loin des touffeurs ramollissantes de l’été des plages de la Méditerranée !

    Aux coins des rues ventées de ces villages de montagne, en janvier, le froid bleu d’acier coupe les chairs comme un rasoir. On dit la-bas « Hace un frío que afeita ».

    C’est le cœur de l’hiver, l’époque des Carnavals

    Piornales est un village de la Province de Cáceres, situé à 1175 mètres d'altitude. Son nom provient de « piorno », le genêt, plante des terres pauvres. Il compte environ 1500 habitants

     Étant donné l'isolement dans lequel il a vécu depuis ses origines —la route n'y a accédé qu'en 1927—, il a conservé d’archaïques traditions exceptionnellement intéressantes.

    C'est le cas du « Jarramplas », personnage tellement mystérieux qu'on se demande si les protagonistes de la fête eux-mêmes savent qui il est, et ce qu'ils font « depuis toujours », les 19 et 20 janvier de chaque année...

    Tout l’événement s’inscrit dans une conception cyclique du temps: la fête de l’année suivante commence à l’instant même où se termine celle de l’année en cours, sans aucune rupture.

     Le nouveau Majordome, qui est le responsable des festivités et qui en paye les frais, accueille chez lui le Jarramplas sortant, récupère son costume et offre un casse-croûte aux autres organisateurs: pain, vin, fromage et jambon de “lomo”.

    On planifie déjà les activités à venir: confection d’un nouveau costume complet, avec le masque —très important—, le tambourin, le gourdin, la répétition des chants (les Alboradas ou “Alborás” avec l’accent local), etc.

    Le costume du Jarramplas est constitué d’une veste et d’un pantalon blancs —qui ne le resteront pas longtemps...— où sont cousus, par les femmes, des centaines de rubans ou coupons de tissu multicolores.

     

    Carnaval - Piornales

    Le masque a une forme conique; il est surmonté de deux énormes cornes de bovidé et porte un immense nez. Du haut de sa pointe pendent les crins d’une queue de cheval. Il est construit par les hommes et il pèse environ 10 kg., pour bien tenir en place.

    Sous le costume, on place depuis quelques années une sorte de cuirasse en fibre de verre, qui protège l'acolyte des coups trop violents, mais complique ses mouvements.

    Le matin du 19 janvier, le Jarramplas, encore sans son masque, accompagné du Majordome parcourt les rues du village pour glaner des mets et de l’argent destinés préparer les “migas” qui seront offertes le 20

    Vers midi, le Jarramplas, masqué cette fois, effectue sa première sortie, en jouant du tambour. Les enfants et les jeunes commencent à lui lancer des navets, tandis qu’il fait mine de se défendre avec son gourdin. De temps en temps, il se réfugie dans une maison ou dans un bar, pour y “reprendre des forces”...

     L’après-midi, il se dirige vers l’église, toujours sous une dense avalanche de navets.

     Puis, Saint Sébastien sera descendu de son trône, vêtu de son habit d’apparat, et il sera placé sur sa litière d’où il présidera les cérémonies du lendemain.

    A la tombée de la nuit, les cloches sonnent à la volée et le Jarramplas, tête nue, parcourt les rues accompagné par des enfants qui chantent.

    Lorsque minuit approche, tout le village se masse à la porte de l’église, et Jarramplas fait son apparition, accompagné du Majordome, en chantant:

    A la puerta la iglesia,

    vamos ahora,

    a rezar una Salve

    a Nuestra Señora.

    À la porte de l’église,

    Allons maintenant,

    Réciter un Salve Régina

    À Notre Dame.

     En attendant que retentisse le dernier coup de minuit, on récite trois “Je vous salue Marie” et le “Salve Régina”. C’est alors que Jarramplas, tête nue, se met à marcher pour la première fois à reculons, en jouant du tambour.  

    A ce moment-là, les assistants commencent à entonner les “Alborás”, et partent faire le tour du village, en gardant le rythme, jusqu’à leur retour à l’église.

     La nuit sera courte... En effet, dès les premières heures du lendemain, le Majordome offrira les “migas”, bien arrosées de vin, à tout le village! Les “migas” sont une préparation à base de petits cubes de pain, frits à la poele dans de la graisse de porc, avec du piment, de l’ail et du sel, et un peu d’eau en fin de cuisson.

    Vers dix heures, conduite par Saint Sébastien, la procession part de l’église et Jarramplas, tête nue, chemine à reculons, juste devant le Saint, sans le quitter des yeux une seconde, comme s’effaçant devant lui.

    A la fin de la procession, la litière du Saint est mise aux enchères, et le gagnant remporte le privilège de la reconduire dans l’église où la messe sera dite peu après. Un chant les accompagne, entonné par des jeunes filles et un enfant qui répète le dernier vers de chacune des strophes séparées par un roulement du tambour de Jarramplas.

    A la guerra, a la guerra

    y al arma, al arma,

    Sebastián valeroso

    venció batalla.

    À la guerre, à la guerre,

    Et à l’arme, à l’arme,

    Sébastien courageux

    A gagné la bataille.

    Le rythme du chant s’accélère progressivement, ce qui a pour effet d’échauffer les fidèles, et de les inviter à sortir pour se masser à la porte, car Jarramplas va revenir.

    C’est le moment le plus intense et le plus significatif de la fête.

    Tout est prêt: les jeunes ont recouvert la place de monceaux de navets —on en utilisera une vingtaine de tonnes pour toute la fête!—. Le suspens est à son comble.

    Les esprits sont chauffés à blanc, et, subitement, Jarramplas sort de l’église.  

    L’attaque la plus violente peut commencer, au gré des manœuvres erratiques du personnage, vers l’avant, l’arrière, les côtés, le haut, le bas, sans un instant de répit, pendant des heures, jusqu’à épuisement complet du malheureux qui repousse d’autantplus loin ses limites que son prestige est en jeu...

    On calcule qu’il aura reçu en deux jours quelque 20.000 impacts! Sans compter les grossièretés, les invectives, les injures...

    Mais ce n’est pas fini car l’après-midi, Jarramplas assistera au Rosaire, à de nouvelles enchères et au retour du Saint sur son trône. Il lui restera encore à effectuer une dernière sortie.

    Carnaval - Piornales

    Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il pourra enfin gagner le domicile du futur Majordome.

     Jarramplas aura joué son rôle immémorial, et le cycle rituel sera bouclé pour une année entière!

    Et, si on essayait d’y voir un peu plus clair?

    Pour y comprendre quelque chose, il ne faudra pas trop compter sur les participants, ni sur les reporters ou présentateurs des différents médias. En effet, on a toujours droit de leur part à des commentaires impressionnistes, affectifs ou sentimentaux, hagiographiques, fièrement identitaires, nostalgiques, folkloriques, emphatiques, rarement et pauvrement analytiques et toujours irrationnels... Ils sont parfois fondés sur d’absurdes légendes moralisantes, déformées et propagées par l’Eglise, et répétées en boucle. Voici un exemple d’explication très souvent entendue: il s’agirait du “typique voleur de bestiaux qui est soumis au châtiment et aux vexations des villageois. La légende raconte que le Jarramplas volait des bestiaux et qu’un jour tous les habitants de Piornal se vengèrent en jetant sur lui des végétaux”.

     On entend même parler de “souffrance consentie par un innocent pour le salut de la collectivité”. On voit bien ici le jeu syncrétique.

     La lecture de cette fête est pourtant bien simple.

     Elle tourne autour de deux axes principaux, deux religions en tension syncrétique bien active depuis presque deux millénaires: l’une qui nous vient de la nuit des temps néolithiques, celtique sans doute et carnavalesque à l’évidence, et l’autre qui coexiste avec elle, vaille que vaille, faute d’avoir pu l’éradiquer: la catholique. “Baise la main que tu ne peux pas couper”, dit le proverbe!

     Une religion archaïque, celle du bouc émissaire qui, grâce à son exceptionnel état de conservation, en met en scène la principale caractéristique, celle de la lapidation.

     On sait que ces religions “premières” avaient pour origine le meurtre collectif du bouc émissaire chargé par le groupe lui-même de toutes ses propres turpitudes. Grâce à l’exécution collective qui engageait anonymement tous les participants, la population se soudait par sa complicité partagée dans ce meurtre libérateur. C’est d’ailleurs l’origine du mot “communication”: “cum-munis” qui signifie contagion réciproque et collective.

     Le Jarramplas “meurt” symboliquement d’épuisement à la fin de la fête; c’était, mais pour de vrai, le lot du “pharmakos” des Grecs anciens.

    Et il y a un autre indice très fort celui-là, et souvenez-vous de l’importance donnée au masque: ce sont les cornes.

    Nous sommes ici en plein Carnaval, c’est à dire en pleine civilisation celtique. Contrairement à ce qu’on a voulu nous faire croire, le mot “carnaval” ne vient pas de “carnis / carne”, la viande dont on serait privé durant le Carême et autre fariboles, mais du dieu celte Cernunnos. La racine sanscrite KRN le montre bien, que l’on retrouve dans KeRNunnos, KaRNe, KoRNe (KueRNo en espagnol), KaRNaval, mais aussi dans KouRoNNe, et bien d’autres mots encore.

    Autrement dit, le Carnaval est l’ancienne religion celtique diabolisée par l’Eglise Catholique. La “marche arrière” de Jarramplas en fait foi car, tout ce qui est à l’envers symbolise le diable!

    Le mécanisme du syncrétisme.

    A partir des empereurs romains Constantin (272 – 337) avec le Concile de Nicée (325), puisThéodose (347 – 395), le Catholicisme devient religion d’Etat et va s’imposer par tous les moyens dans l’Empire.

    Tout est bon pour faire disparaître les religions locales, entre autres méthodes les mépriser en les nommant “païennes”, du latin “paganus” qui signifie villageois, donc “plouc”, les diaboliser en traitant de sorciers/sorcières leurs différents dignitaires, mais aussi —et c’était là l’une des habiletés colonisatrices des Romains—, les recouvrir par un nouveau culte, plus ou moins ressemblant et compatible avec l’ancien.

    L’exemple de Piornales est un vrai cas d’école!

    Et c’est Saint Sébastien qui est mis face au Jarramplas.

    Les antiques festivités rituelles et carnavalesques du monde rural avaient lieu au cœur de l’hiver, saison très dure à tous points de vue, hiver dont il fallait hâter la fuite par des pratiques magiques. Or, comme par hasard, la fête catholique de Saint Sébastien tombe le 20 janvier.

    Et Saint Sébastien est légendairement connu pour avoir été attaché à un poteau et criblé de flèches, car au début des années 300, il défendait ses croyances chrétiennes face à un Empire Romain qui n’avait pas encore tourné sa veste... Une vraie lapidation!

    On chante même cela rituellement dans la “Rosca”, au cours de la fête:

    Le amarraron a un tronco

    y alli le dieron

    la muerte con saetas,

    verdugos fueron.”

    Ils l’attachèrent à un tronc

    Et là lui infligèrent

    La mort avec des flèches,

    Bourreaux ils furent.

    Or, ce qui se passe à Piornales, c’est que l’Eglise Catholique n’a pas vraiment ou même pas du tout réussi à éradiquer la religion “païenne”, et que l’on assiste à un ballet où, certes, le Jarramplas semble faire allégeance au Saint Patron, mais pas trop, pas vraiment.

    On se demande même, au train où vont la “déchristianisation” en Espagne, et la frénétique recherche identitaire, qui va gagner des deux...

    Un thésard local, Sebastián Díaz Iglesias, qui enquêtait sur le terrain à Piornales rapporte cette anecdote: “Un beau jour, il y a peu de temps, dans un bar de Piornales, alors que Jarramplas venait juste de s’y replier pour se reposer un peu, un homme s’approcha de moi et m’invita aimablement à deux chose: une bière et cesser de poser des questions aux gens à propos de Jarramplas parce que, me dit-il, faire des recherches sur la fête était ce qui pouvait lui faire le plus de mal.”

    Cette anecdote rapportée par ce jeune anthropologue va peut-être plus loin qu’il ne le croit lui-même.

    En fait, ce qui compte pour les piornalegos, c’est de vivre pleinement leur fête au premier degré, naïvement, viscéralement, dans le plus total irrationnel, ce qui est la seule manière qui vaille, car être spectateur de la fête n’a plus aucun sens et n’apporte aucun bénéfice cathartique. La vivre dans cette ignorance ancestrale est ce qui a permis de nous la conserver si pure.

    Ce qui est préoccupant cependant, c’est que cette “pureté”, cette “authenticité” festive est entièrement construite sur de l’artificiel, du faux, du fabriqué, du mensonge.

    Nous sommes actuellement à un carrefour “apocalyptique” au vrai sens du mot (“la fin des choses cachées”). Peut-on continuer à vivre sur les bases d’une structuration institutionnelle violente de la violence du chaos?

    Si Dieu existe, il doit bien avoir son idée là-dessus, mais je crois fort que l’ordre sacrificiel n’est vraiment pas son truc.

    Daniel D.

     

    http://www.youtube.com/watch?v=nN9YmXzvtoQ

     


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  • L'Escorial, un « lieu de pouvoir ». À tous les sens du terme ?

    En 1557, Philippe II d'Espagne (1527-1598), le plus puissant monarque de son temps, celui qui régnait sur le plus grand Empire du Monde à son époque, empire sur lequel « le Soleil ne se couchait jamais », décida de se choisir un emplacement pour construire son Palais.

    Et quel palais !

    Philippe II avait été un enfant peut-être un peu trop réservé mais studieux, ballotté par les innombrables déplacements de la Cour. C'était un homme de constitution plutôt frêle, il n'avait pas une très bonne santé, et surtout il n'avait pas l'envergure de son père, l'empereur Charles Quint.

    « Quand on n'est pas fort, il faut être malin », dit le proverbe qui lui convient très bien.

    Voyons cela de plus près.

     Philippe II hérita du pouvoir que son père, lassé par 40 ans d'un règne trop mouvementé, et miné par la goutte, lui transmit à l'âge de 56 ans (oui, seulement...) en 1556. Il n'avait pas encore trente ans.

    C'était manifestement, et tous les historiens vous le diront, un vêtement trop grand pour lui. Mais il lui fallait faire avec, et il le fit en « roi prudent », mais aussi avec l'aide d'étranges puissances occultes auxquelles il faisait curieusement confiance.

     L'Escorial, un « lieu de pouvoir ».Daniel D

     La construction du Palais se décida, semble-t-il, juste après la victoire des troupes espagnoles à Saint Quentin (en France) sur les Français, le 10 août 1557. Fort modeste victoire, mais la première du règne de Philippe, et puis, il fallait bien trouver un prétexte.

    Car l'essentiel n'était pas là.

    En fait, Philippe rêvait depuis toujours de se bâtir un palais, et il le fit, obéissant au testament de son père admiré, à la gloire de la Maison d'Autriche, ainsi qu'à la mesure de son Empire.

    Précédemment, la Cour d'Espagne était encore itinérante : Valladolid où était né Philippe II, Tolède qu'il n'aimait pas, non plus que sa jeune seconde épouse Isabelle de Valois, et Madrid.

    En 1560, Philippe opta pour fixer la Cour à Madrid, à l'époque petite ville où l'eau était abondante et bonne, et l'air de la montagne très pur (on rêve...).

    Les travaux de construction de cet immense ensemble architectural de 35.000 mètres carrés seront lancés en 1563, et ne dureront que 21 ans!

    Mais, la recherche de l'emplacement du terrain avait commencé dès 1558, et c'est elle qui nous intéresse. Elle fut menée par le roi en personne, flanqué d'architectes, de médecins, de carriers, tous triés sur le volet, et aussi d'autres personnages plus curieux encore.

    Il leur fallut presque trois ans pour se décider ! Et cela pour trouver un lieu en apparence aussi banal ... En apparence seulement !

     
    Nous l'avons vu, Philippe II était surnommé « le Roi Prudent » ; il l'était en effet en ce sens qu'il ne prenait pas ses décisions à la légère. Mais, d'une certaine manière, il était aussi « le Roi Savant », et pas en n'importe quelles sciences.

    Par exemple, il savait à peu près tout ce qui pouvait se savoir à son époque en architecture, mais aussi en... ésotérisme !

    Il avait pour cela une méthode redoutable: d'une main il encourageait vivement l'Inquisition la plus dure et, de l'autre, il se faisait apporter tous les livres interdits qui étaient confisqués par elle, et avaient parfois coûté la vie à leurs auteurs ou même à leurs lecteurs, par exemple à Giordano Bruno... Et, non content de cela, il les lisait et il les étudiait. C'est tellement vrai que la bibliothèque ésotérique du Palais de l'Escorial est considérée comme la troisième du monde, après le Vatican (tiens donc !) et la Sorbonne.

    La direction de cette bibliothèque unique était confiée à l’érudit polyglotte hébraïsant Arias Montano, sans doute d’origine juive.

    Ce fut donc le roi lui-même qui choisit l'emplacement, après avoir écarté Valladolid, Tolède, Grenade et Madrid. Et pour quelle raison ?

     
    L'architecte qu'il choisit initialement, sur les conseils de son père qui l'avait apprécié en Italie, fut Juan Bautista de Toledo, né probablement en Italie, en 1515.

    « De Toledo » était un surnom qui faisait allusion aux origines espagnoles des parents du personnage, sans doute juifs expulsés par les propres arrière-grands-parents de Philippe, les Rois Catholiques.

    En tant qu'architecte lettré de culture juive, Juan de Toledo n'ignorait sans doute rien des secrets de cette civilisation et, vivant et travaillant en Italie, il avait accès à des documents interdits en Espagne. Il avait aussi participé activement à la construction de la Basilique de St Pierre, avec Michel Ange.

    Un beau jour de 1559 il reçut une missive signée de la main de Philippe, qui voyageait à cette époque dans les Flandres, en compagnie d'un jeune homme de 19 ans né en 1530, Juan de Herrera, dont nous reparlerons. Par cette lettre, Philippe le nommait Architecte Royal. On imagine la fierté légitime de cet homme : quelle promotion !

    Juan Bautista se déplaça donc rapidement à Madrid et commença immédiatement le travail. Il fut logé dans l'ancien Alcázar, aujourd'hui disparu et remplacé par le Palais Royal, où il eut son bureau d'étude. Philippe, qui résidait périodiquement dans ce palais, travaillait souvent avec lui. Ensemble ils se déplaçaient fréquemment sur le terrain du futur palais, et Juan Bautista participa activement au choix du lieu.

     Disons tout de suite que, malgré cela, l'épisode espagnol fut finalement un drame personnel pour Juan Bautista de Toledo. En effet, quelque temps après son installation à Madrid, il appela auprès de lui sa femme, ses deux filles et ses archives. Dramatiquement, le bateau coula corps et biens, et l'on dit que le malheureux ne s'en remit jamais... Il mourut, seul à Madrid, en 1567, à 52 ans...

    Cependant, l'essentiel des plans du Palais était bien ébauché, même si Philippe voulait toujours plus grand et obligeait sans cesse son architecte à recommencer. Mais sa mort jeta un immense trouble parmi les bâtisseurs qui se retrouvèrent sans chef pour longtemps.

    Or, parmi les assistants de Juan Bautista de Toledo, et depuis 1563, se trouvait ce Juan de Herrera que nous avons rencontré en Flandres. Il avait alors 37 ans.

    C'était un fils de bonne famille espagnole de Santander, particulièrement versé dans l'architecture, les mathématiques, la littérature et autres sciences moins « catholiques ». Etait-il ce que l'on nomme « un initié » ?

    Le fait est que, petit à petit son influence augmenta auprès de Philippe II qui lui confia enfin la responsabilité de succéder à Juan Bautista de Toledo, en 1579.

     
    Sous l'autorité directe et omniprésente de Philippe II, épaulé par une pléiade d'assistants hors norme, le Palais de l'Escorial s'est élaboré et s'est construit comme une œuvre profondément et essentiellement symbolique et ésotérique, et cela, il faut le souligner, en un temps où l'Inquisition faisait rage.

    Examinons tout d'abord, le lieu, ce lieu improbable et banal à souhait ... aux yeux du profane.

    Il faut, pour comprendre ce qui se jouait là, revenir à la personnalité de ce roi, plus malin que fort, soumis aux superstitions, aux légendes, aux pratiques ésotériques, aux symboles auxquels il était attaché.

    Et pour nous guider sur ce parcours, quoi de mieux qu'un radiesthésiste ?

    Voici notre homme : il se nomme Epifanio Alcañiz, et il consacre sa vie à des recherches en radiesthésie. Sa spécialité, ce sont les « vortex » ou colonnes d'énergie qui sortent de la terre ou qui y entrent en certains endroits bien précis.

    Sa théorie, c'est que pas une cathédrale, pas une église, pas une chapelle, parmi les anciennes, n'est construite sans la présence de l'un de ces fameux vortex dans des « lieux de pouvoir » qui ont la particularité de régénérer les énergies des personnes qui les approchent, de les mettre en situation d' « état modifié de la conscience », et de momifier les morts.

    Bref, de les mettre en contact avec « Dieu », ajouterai-je.

     
    La question n'est pas ici de savoir si ces phénomènes sont réels ou supposés, mais sur le fait qu'ils ont gouverné en grande partie la construction de l'Escorial.

    Tout est en effet étrange, dès le départ. Les plus extravagantes légendes se mêlent à des considérations troublantes. Par exemple ceci : il se dit qu'au premier coup de pioche donné sur l'emplacement choisi, une forte bourrasque de vent s'éleva soudain, et qu'il y eut un violent coup de tonnerre comme sorti du sol qui jeta à terre les ouvriers. El la légende ajoute que le roi aurait dit que, si ce lieu était la « bouche du diable », il allait justement y construire un palais chrétien, pour la lui fermer.

    Et puis, ce chien noir qui, depuis ce jour, se mit à errer dans les lieux, puis à hanter le palais aux moments les plus dramatiques, tout au long de la vie du roi, et qui y est peut-être encore...

    Plus objectivement, le lieu n'était pas anodin.

    Pour commencer, ce que l'imaginaire populaire a nommé « la chaise de Philippe II », non loin du Palais, est en réalité un très ancien autel celte, construit par les Vétons, sûrement pas par hasard.

    Revenons à notre radiesthésiste, à ses prospections, à ses calculs et à ses mesures.

    D'après lui, la « vibration » normale des êtres et des choses se situe entre 6.500 et 8.000 unités Bovis (UB), unités subjectives et conventionnelles qu'utilisent presque tous les radiesthésistes.

     
    Or, il existe en certains lieux terrestres des vortex ou tourbillons d'énergie plus ou moins puissants. Ces points forts sont rares et, curieusement, il sont toujours associés à des lieux de cultes, païens ou chrétiens. C'est ainsi que l'emplacement de la « chaise » en question accuse 24.500 UB.

    Par comparaison, la cathédrale de St Jacques de Compostelle présente 19.000 UB et, plus généralement, tout le chemin se St Jacques est jalonné de multiples points forts qui vont de 10.000 à plus de 20.000 UB.

    L'église de Alba de Tormes, au niveau exact du tombeau de Sainte Thérèse monte a 24.500 UB. Et elle s’y est momifiée...

    La cathédrale de Chartres et la plupart des grandes cathédrales vibrent autour de 11 000 unités Bovis.

     
    Si un lieu de culte recouvre un vortex, ce n'est déjà pas mal ; deux ou trois, c'est du luxe.

    Eh bien, l'emplacement du Palais de l'Escorial en contient plus de 20, dont certains sont très forts, et systématiquement associés à des autels, des tableaux, des lieux symboliques remarquables ! Toute la disposition au sol du Palais est planifiée en fonction de ces points.

     
    La position intellectuelle que je propose ici, et je le répète, n'est pas de croire ou de ne pas croire, évidemment. Elle est d'observer « scientifiquement » que cette pensée magique a gouverné les anciennes religions, et surtout que le roi champion de l'Inquisition qui brûlait les livres « hérétiques », leurs auteurs et leurs lecteurs, aussi bien que les «sorciers» et autres hermétistes , était entièrement soumis et gouverné par eux dans son projet pour l'Escorial ! ! !

    Ce n'est pas par hasard que ce monarque a été qualifié à la fois de « roi prudent » et de « diable du Midi », un roi à double face, certainement affecté de troubles neuropsychiques comme sa grand-mère Juana La Loca (qui n’était pas « folle ») et son étrange fils Charles. Il devait irradier quelque chose de particulièrement inquiétant, puisqu'il tétanisait les ambassadeurs étrangers les plus volubiles, au point de leur couper littéralement la parole...

     
    Une fois l'emplacement trouvé, les plans du Palais furent mis en route, d'abord par Juan Bautista de Toledo, puis par Juan de Herrera.

    Tout l'ensemble est articulé par la géométrie ésotérique du carré, et par la symbolique, juive par excellence, de David et de Salomon.

     
    La géométrie du carré.

    Le carré faisait partie intégrante de la géométrie sacrée, avec le cercle et le triangle qui donnent respectivement le cube, la sphère et la pyramide.

    Le carré, comme le 4, est la synthèse des quatre Eléments ; il symbolise la stabilité terrestre, en complémentarité avec le cercle qui est le Ciel.

    Non seulement ces formes géométriques de base étaient considérées comme structurant la matière, mais encore comme vibrant en harmonie avec le Divin, et assurant aux humains un accès direct vers lui, par le mécanisme de la perception inconsciente et irrationnelle.

    Le plan de l'Escorial est entièrement organisé sur des structures carrées.

      

    L'Escorial, un « lieu de pouvoir ».Daniel D

    David et Salomon.

    On connaît le texte biblique : David le roi puissant et conquérant, et son fils, le sage Salomon, constructeur du Temple dont les plans avaient été reçus de Dieu par son père.

    La symétrie est parfaite : Charles Quint = David, et Philippe II = Salomon. Elle a été relevée et largement exploitée par les courtisans de l'époque. Mais elle a aussi été clairement appuyée par la décoration de l'Escorial, sinon que feraient à l'entrée de la basilique ces deux gigantesques statues des deux rois juifs qui accusent des ressemblances marquées avec les deux monarques espagnols ?

     

    L'Escorial, un « lieu de pouvoir ».Daniel D

    L’Escorial n’est pas qu’un Palais, c’est un monde global: une basilique, un monastère, un panthéon, une bibliothèque, un centre médical et alchimiste, un collège, une pinacothèque, etc.

    Ce sont aussi des symboles: celui de la contre-réforme (sa construction est contemporaine du Concile de Trente), nouveau Temple de Salomon...

     
    Lorsqu’un homme approche de sa fin, il va a l’essentiel et se dépouille des masques de la vanité mondaine, fût-elle royale ou impériale.

    Ainsi en fut-il de Philippe II: sa longue agonie due à l’une ou à plusieurs de ses 22 maladies reconnues, en pleine déchéance physique, lui infligea de terribles humiliations, et révéla au grand jour ses peurs et ses croyances, ses derniers espoirs et ses ultimes recours.

    Il mourait seul, après avoir perdu ses quatre épouses, six de ses huit enfants, ses sœurs et plusieurs de ses petits-enfants...

     
    C’est ainsi qu’il fit remplir sa chambre d’une multitude reliques de saints, triées parmi les quelque 7.000 que contient le Palais Monastère: bras, jambes, crânes, etc. cela pour le côté catholique.

    Mais, son fétiche préféré, celui qui l’avait fasciné toute sa vie, et qu’il garda sous les yeux jusqu’au bout, ce fut “Le Jardin des Délices” de Jérôme Bosch, peut-être pas tout à fait catholique, lui...

     

    L'Escorial, un « lieu de pouvoir ».Daniel D

     "Le jardin des délices " peint entre 1503 et 1504 - Jérôme Bosch (dit El Bosco) - musée du Prado

    Alors, “roi prudent”, “démon du Midi”, les deux à la fois ?

    Et si l’on retrouvait là plutôt le petit enfant trop réservé, intimidé par les grandes puissances qui l’entouraient alors?

    L’immensité de la machine qu’il avait mise en place était désormais pour lui réduite à néant.

    Ne restait-il du plus grand monarque de son temps, le plus prudent, le plus orthodoxe et le plus démoniaque, qu’une âme d’enfant terrorisé par le grand vide béant qui s’ouvrait devant lui?

    C’est en cela qu’il nous ressemble.

    Daniel D.

     

     

     

     


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  • La « Cueva de Montesinos », caverne initiatique ?

    Les plateaux de Castilla-La Mancha sont de véritables steppes grillées et nues : pas étonnant que les Arabes qui, grands observateurs comme les Romains, savaient donner des noms de lieux très judicieux et très « pédagogiques », les aient nommées « la'a Ma-anxa », qui signifie « sans eau » !

    C’est pourquoi la moindre goutte du précieux liquide y semble un vrai cadeau des dieux. Au cœur de ces steppes, quoi dire, alors, des « Lagunas de Ruidera » : une oasis, un paradis ?

    Le touriste pressé les traversera sans doute en trombe, prisonnier des rails de l’autoroute. Dommage !

    Il est des lieux qu’il faut savoir « mériter » ; autrement dit, il faut s’être un peu préparé pour les rencontrer.

    Au cœur de ce monde enchanteur, se cache la « Cueva de Montesinos », qui nous fera plonger dans l’un des plus mystérieux épisodes du Don Quijote.

     

    Lorsque vous serez sur place, vous ne manquerez pas de rencontrer des guides, plus « Sanchos » que « Don Quichottes » qui vous débiteront mécaniquement leur petit boniment, dans un castillan digne de celui de leur maître Sancho Panza, à peu près dans ces termes : « Je vais vous montrer la grotte, telle que le Quichotte la voit dans un joli rêve, avec de l’imagination et de la fantaisie. Sancho lui dit : quelle folie tu vas réaliser ! Tais toi, je vais réaliser une aventure qu’aucune autre personne humaine n’a réussi à réaliser avant moi. » Etc.

    Et il ne manquera pas de vous montrer, en éclairant judicieusement les parois avec sa lampe, la silhouette du mage Merlin l’Enchanteur, et sur la « fameuse pierre traditionnelle », le visage de Don Quichotte, et autres merveilleux personnages encore, tout en glissant dans son discours quelques petites citations, « dans le texte » !

    Inutile de dire que ce n’est pas de ce côté-là qu’il vous faudra chercher...

     

    Et si nous commencions par le début ?

    Il convient, avant toute chose nous rappeler que, dans les œuvres de Miguel de Cervantès, rien n’est gratuit, et que tout est à double, triple sens, ou plus...

    Sur le terrain, la grotte existe bel et bien. Mais, dans la région de Zamora et au Nord Est du Portugal, des lieux portent le même nom... On aura compris que le point géographique n’est ici qu’un prétexte.

    Certes, dans ses pitoyables pérégrinations de collecteurs d’impôts, notre auteur a bien dû croiser cette grotte manchega sur son chemin, mais ce qui semble le plus intéressant, c’est le nom lui-même : Montesinos.

    C’est un très ancien patronyme, d’origine asturienne, très répandu en Espagne. Il semble dériver du substantif latin « montis » (mont) du suffixe « inus » qui indique la provenance. Il serait un peu construit comme « Asturien » en français.

    Mais on connaît l’humour et le goût de Cervantès pour les jeux de mots, parfois complexes (trop !) et tellement recherchés.

    Serait-ce lui faire injure si l’on pensait que « Montesino » c’est aussi « Monte-sino » où « sino » serait le latin « signum », le signe, le destin ? Allez savoir...

     

    Voici donc notre héros Don Quijote qui se prépare à s’enfoncer dans la grotte, devant son compère Sancho horrifié. Il s’y fera descendre par deux comparses, au bout d’une corde.

    Le temps passe, et ceux qui sont restés là-haut s’inquiètent, car il ne répond pas aux appels ! Ils se décident alors à tirer sur la corde, et remontent l’aventurier plongé dans un sommeil si profond qu’ils auront toutes les peines du monde à le réveiller.

    Il sera resté au fond environ une demi-heure.

    Sitôt réveillé, il se met à raconter par le menu les trois journées entières, avec leurs nuits, qu’il a vécues dans le trou.

    Ce qu’il dit paraît tellement invraisemblable que le véritable auteur du livre —selon Cervantès, bien sûr—, Cide Hamete Benengeli, s’empresse de nous indiquer qu’il n’y croit pas lui même !

    « Celui qui traduisit cette grande histoire, à partir de l’original qu’écrivit son premier auteur Cide Hamete Benengeli, dit qu’en arrivant au chapitre de l’aventure de la grotte de Montesinos, il trouva dans la marge, écrites de la main de Hamete lui même, les remarques suivantes.

    « Je ne peux me faire à l’idée, ni me convaincre que soit arrivé, point par point, au valeureux don Quichotte, ce qui est écrit dans le précédent chapitre. La raison en est que toutes les aventures qui ont eu lieu jusqu’ici sont vérifiables et vraisemblables, mais à celle-ci, de la grotte, je ne trouve aucune entrée pour la prendre pour vraie, tant elle s’éloigne des limites du raisonnable. Car penser que don Quichotte ait pu mentir, alors qu’il est le seigneur le plus authentique et le plus noble chevalier de son temps, m’est impossible ; en effet, lui il ne profèrerait pas un seul mensonge même si on le criblait de flèches. Par ailleurs, je considère qu’il a tout raconté selon ce qui est rapporté, et qu’il n’a pas pu élaborer en un temps aussi bref un tel fatras de calembredaines, et si cette aventure paraît apocryphe, je n’y suis pourrien; c’est ainsi que je l’écris, sans la déclarer ni fausse ni vraie. Toi, lecteur, puisque tu es judicieux, fais-toi ta propre opinion, car je ne dois ni ne peux faire plus, sachant qu’au moment de sa fin et de sa mort, on dit qu’il s’est rétracté et qu’il déclara qu’il avait tout inventé, car il considérait que cela convenait et s’ajustait bien aux aventures qu’il avait lues dans ses histoires. »

    Cervantès savait prendre les devants, face à l’Inquisition... Dans le même ordre d’idées, il dit lui-même qu’il se gardera bien de raconter tout ce que son héros a vécu dans ce souterrain !

     

    Des milliers, des dizaines de milliers d’écrits ont été produits à propos de cet épisode ! Qui pourrait les lire tous ?

    Il y a, bien sûr, ceux des littéraires, des docteurs universitaires qui commentent ad libitum, qui font des rapprochements en littérature comparée, qui paraphrasent, qui élucubrent et jargonnent : il faut bien gagner sa croûte et maintenir les rentes de situation...

    Il y a toute la ribambelle des psys et autres poètes farfelus qui glosent, etc. !

    Chacun propose, sans doute, une part de vérité capable d’ouvrir des horizons utiles.

    Pour ma part, je considère que Cervantès est trop sérieux —son humour si profond le prouve abondamment—, que son expérience vécue a été trop dure, son solide esprit trop équilibré, son savoir et son désir de le transmettre trop grands, pour qu’il se soit limité à ça !

    C’est pourquoi je penche pour une approche ésotérique de cet épisode qui, plus encore que tout le reste de l’œuvre, est un véritable parcours initiatique. Celui, sans aucun doute, d’un Initié lui-même.

    Etant d’origine juive —ses ancêtres avaient été persécutés par l’Inquisition—, tout tend à prouver qu’il avait conservé, sinon la religion elle-même, au moins toute la culture qui l’accompagne, et qu’il connaissait parfaitement la Kabbale dont il s’inspire clairement.

    Il savait cacher les allusions à cette culture dans les moindres recoins. Par exemple, lorsqu’au début de son œuvre, il présente Don Quichotte, qui est un peu son double, il évoque son menu de la semaine. Le samedi, nous dit-il, il mangeait un plat nommé « duelos y quebrantos ». Dans toute la littérature, c’est la première fois qu’apparaît ce nom, comme si Cervantès l’avait inventé spécialement pour l’occasion. Il s’agit d’une préparation faite à la poêle, à base d’œufs, de chorizo et de lard. Apparemment, rien de particulier, dans un milieu rural plutôt modeste.

    Or, si on s’intéresse au sens de ces mots, on obtient « deuils » ou « douleurs » pour le premier, et « ruptures » ou « fractures » pour le second. Quels deuils et quelles ruptures ? Eh bien, tout simplement, ceux de quelqu’un qui était obligé d’enfreindre le Shabbat, pour ne pas se trahir. Et c’étaient bien là des « ruptures » et des « deuils »...

     

    Dans l’épisode de la grotte, nous avons tous les composants de la cérémonie initiatique, depuis le lieu symbolique, jusqu’à l’état final de catalepsie, en passant par les trois jours de rigueur. Souvenez-vous des trois jours que le Christ, selon les Evangiles, a passés « aux enfers » —inferna—, ce qui signifie « sous terre ».

    Don Quichotte a rencontré ou vu dans son voyage souterrain des dizaines de personnes qui sont dans « une autre dimension », « enchantés », comme il le dit. Ils sont là, et ils attendent ; ils sont comme dans une espèce de lieu de transit, et dans l’espoir que quelqu’un les en sorte. En l’occurrence, ce sera don Quichotte qui pourra le faire, par les pénitences qu’il s’infligera. Ils sont comme « La Belle au bois dormant », dans l’attente de leur Chevalier.

    Quel est le but de la démarche ?

    Comme dans toute initiation, il y a trois étapes : déstructuration, apprentissage, reconstruction. Le « vieil homme » meurt et le nouveau se construit. Rien ne sera plus jamais pareil, après.

    Les premières paroles de don Quichotte à son réveil sont celles-ci : « —Que Dieu vous le pardonne, amis, car vous m’avez privé de la plus savoureuse et agréable vie, et d’une vue qu’aucun humain n’a jamais vue ni connue. En effet, je viens de prendre connaissance de ce que touts les contentements de cette vie passent comme l’ombre et le rêve, ou fanent comme la fleur des champs. »

    On est loin du vulgaire sommeil, même du plus constructif :

    Soudain, et sans l’avoir cherché, j’ai été assailli par le plus profond sommeil, et alors que j’y pensais le moins, sans savoir pourquoi ni comment, j’en suis sorti et je me suis trouvé au milieu de la plus belle, de la plus agréable et de la plus plaisante prairie que puisse faire naître la nature ni que pourrait imaginer la plus habile imagination humaine. Je décollai mes yeux, me les frottai, et je vis que je ne dormais pas, mais au contraire, que j’étais réellement éveillé.”

    Il s’agit bien là d’une transe hypnotique, soudaine, irrépressible, et qui fait passer le « dormeur » de l’autre côté de la lumière.

    Les symboles abondent dans cette grotte, par exemple le chiffre 9, qui est celui des Templiers, la grotte qui est l’inconscient, etc..

    Et puis, ce sépulcre : « Le vénérable Montesinos me fit entrer dans le palais de cristal où, dans une salle basse, d’une excessive fraîcheur, et toute d’albâtre, se trouvait un sépulcre de marbre, fabriqué avec une maîtrise extrême, sur lequel je vis un chevalier étendu de tout son long, non pas en bronze, ni en marbre, ni en jaspe, comme il y en a d’habitude dans d’autres sépulcres, mais de véritable chair et de vrais os. Il avait la main droite (qui à mon avis est bien poilue et nerveuse, ce qui montre une grande force chez son propriétaire) posée du côté du cœur ».

    Il faudrait savoir décoder tout cela, mais ce « sépulcre » au fond d’une crypte glacée, fait carrément penser à l’Arche de l’Alliance. Et cette main gauche, posée sur le cœur, n’est-elle pas un signe de reconnaissance chez les Initiés ?

    Un clin d’œil encore. Un commentateur, lu sur le Net, rappelle que don Quichotte est descendu dans la grotte à une profondeur « d’environ douze ou quatorze brasses ». Et il fait remarquer qu’entre douze et quatorze, se trouve le nombre 13 : une pauvre lapalissade direz-vous!

     

    Eh bien non, car notre commentateur fait remarquer aussi que chez les Francs Maçons, le treizième degré de l’initiation est symbolisé par la descente de l’impétrant dans un trou, à l’aide d’une corde tenue par deux personnes. 

    La médaille de l’Ordre en fait foi.

     

    La « Cueva de Montesinos », caverne initiatique ? Daniel D.

    Autour de cette médaille, on peut lire « R.S.R.S.T.P.S.R.I.A.J.S. » , qui se décline ainsi : « Regnante Salomone Rege Sapientisimo Thesaurum Pretiosissimum Sub Ruinis Invenierunt Adonhiram Johaben Stolkin. » et qui peut se traduire par : Durant le règne de Salomon, roi très sage, Adonhiram, Johaben et Stolkin trouvèrent sous les ruines un très précieux trésor. Année 2995 d’Enoch.

     On se perd en conjectures...

    Parlez-en aux guides locaux, lorsque vous les rencontrerez !

    Et je ne saurais mieux conclure que par les mots de Cervantès lui-même : «Toi, lecteur, puisque tu es judicieux, fais-toi ta propre opinion. »

     


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    Don Quichotte - Cervantes

    Extrait du chapitre VIII.

    Du beau succès qu’eut le valeureux Don Quichotte dans l’épouvantable et inimaginable aventure des moulins à vent, avec d’autres événements dignes d’heureuse souvenance.

     

     

     

    Don Quichotte - Cervantés - Extrait du chapitre 8 - Les moulins...

    En ce moment ils découvrirent trente ou quarante moulins à vent qu’il y a dans cette plaine, et, dès que Don Quichotte les vit, il dit à son écuyer : « La fortune conduit nos affaires mieux que ne pourrait y réussir notre désir même. Regarde, ami Sancho ; voilà devant nous au moins trente démesurés géants, auxquels je pense livrer bataille et ôter la vie à tous tant qu’ils sont. Avec leurs dépouilles, nous commencerons à nous enrichir ; car c’est prise de bonne guerre, et c’est grandement servir Dieu que de faire disparaître si mauvaise engeance de la face de la terre.

    — Quels géants ? demanda Sancho Panza.

    — Ceux que tu vois là-bas, lui répondit son maître, avec leurs grands bras, car il y en a qui les ont de presque deux lieues de long.

    — Prenez donc garde, répliqua Sancho ; ce que nous voyons là-bas ne sont pas des géants, mais des moulins à vent, et ce qui paraît leurs bras, ce sont leurs ailes, qui, tournées par le vent, font tourner à leur tour la meule du moulin.

    — On voit bien, répondit Don Quichotte, que tu n’es pas expert en fait d’aventures : ce sont des géants, te dis-je ; si tu as peur, ôte-toi de là, et va te mettre en oraison pendant que je leur livrerai une inégale et terrible bataille. » En parlant ainsi, il donne de l’éperon à son cheval Rossinante, sans prendre garde aux avis de son écuyer Sancho, qui lui criait qu’à coup sûr c’étaient des moulins à vent et non des géants qu’il allait attaquer. Pour lui, il s’était si bien mis dans la tête que c’étaient des géants, que non-seulement il n’entendait point les cris de son écuyer Sancho, mais qu’il ne parvenait pas, même en approchant tout près, à reconnaître la vérité. Au contraire, et tout en courant, il disait à grands cris : « Ne fuyez pas, lâches et viles créatures, c’est un seul chevalier qui vous attaque. » Un peu de vent s’étant alors levé, les grandes ailes commencèrent à se mouvoir ; ce que voyant Don Quichotte, il s’écria : « Quand même vous remueriez plus de bras que le géant Briarée, vous allez me le payer. » En disant ces mots, il se recommande du profond de son cœur à sa dame Dulcinée, la priant de le secourir en un tel péril ; puis, bien couvert de son écu, et la lance en arrêt, il se précipite, au plus grand galop de Rossinante, contre le premier moulin qui se trouvait devant lui ; mais, au moment où il perçait l’aile d’un grand coup de lance, le vent la chasse avec tant de furie qu’elle met la lance en pièces, et qu’elle emporte après elle le cheval et le chevalier, qui s’en alla rouler sur la poussière en fort mauvais état.

    Sancho Panza accourut à son secours de tout le trot de son âne, et trouva, en arrivant près de lui, qu’il ne pouvait plus remuer, tant le coup et la chute avaient été rudes. « Miséricorde ! s’écria Sancho, n’avais-je pas bien dit à votre grâce qu’elle prît garde à ce qu’elle faisait, que ce n’était pas autre chose que des moulins à vent, et qu’il fallait, pour s’y tromper, en avoir d’autres dans la tête ?

    — Paix, paix ! ami Sancho, répondit Don Quichotte : les choses de la guerre sont plus que toute autre sujettes à des chances continuelles ; d’autant plus que je pense, et ce doit être la vérité, que ce sage Freston, qui m’a volé les livres et le cabinet, a changé ces géants en moulins pour m’enlever la gloire de les vaincre : tant est grande l’inimitié qu’il me porte ! Mais en fin de compte son art maudit ne prévaudra pas contre la bonté de mon épée.

    — Dieu le veuille, comme il le peut, » répondit Sancho Panza. Et il aida son maître à remonter sur Rossinante, qui avait les épaules à demi déboîtées. [...]


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     Luis Candelas : le problème ou le symptôme ?


    Lorsque vous traverserez le vieux Madrid, vous ne pourrez pas le rater.

    Au pied de l’escalier le l’ Arc de Cuchilleros , qui débouche de la Plaza Mayor, on ne voit que lui : le restaurant « Las Cuevas de Luis Candelas », lieu à la fois populaire et huppé, snob, inscrit dans le circuit des « tour-opérateurs », et passage obligé du touriste qui veut avoir « fait » Madrid.

    Il fut fondé en 1947, par un ancien torero dont le fils, qui lui succède aujourd’hui, dit qu’à ce moment-là, la corrida ne lui rapportait plus grand chose et que, pour installer son négoce, il choisit ce lieu car il était déjà célèbre.

    L’établissement tire son nom d’un personnage du XIXe Siècle, dont la renommée interroge ou même fascine.

     

    Luis Candelas : le problème ou le symptôme ?

     Luis Candelas : le problème ou le symptôme ?  Pas un seul vrai Madrilène n’ignore le nom de Luis Candelas ; tous ont en tête à son propos des tas de lieux communs ressassés à l’infini.

    Mais le connaissons-nous vraiment ?

    Savons-nous pourquoi lui, et pas d’autres parmi les centaines de son espèce qui hantaient les rues de Madrid à l’époque, est passé à une telle postérité ? 

    En faisant converger quelques pistes, on pourra peut-être s’en faire une idée.

    Nous prendrons pour cela, comme « fil rouge », cette citation du philosophe espagnol José Ortega y Gasset: « Yo soy yo y mi circunstancia, y si no la salvo a ella, no me salvo yo. », que l’on pourrait traduire, en essayant de respecter le jeu de mots, par : « Je suis moi et ma circonstance, et si je ne la dépasse pas elle, je ne me dépasse pas moi-même. »

    Autrement dit : Luis Candelas a-t-il réussi à « dépasser sa circonstance » ?

    Les premières années du XIXe Siècle espagnol se sont caractérisées par de très graves crises qui encadrent la période napoléonienne.

    En 1807, Napoléon obtint l’autorisation de passer par l’Espagne pour aller combattre le Portugal, allié des Anglais à la bataille perdue de Trafalgar.

    La Révolution Française n’était pas bien loin, ni dans l’espace, ni dans le temps, et de nombreuses retombées avaient franchi les Pyrénées : l’Espagne était tiraillée entre les Lumières et son antique monarchie.

    La crise économique s’aggravait, la monarchie se délitait, et le faible roi Carlos IV abdiqua en faveur de son fils Fernando VII qui, par ailleurs conspirait contre lui.

    Voyant là une opportunité de conquête, Napoléon invita cette pitoyable famille royale à Bayonne, fin avril 1808, soit disant pour une réconciliation. En fait, il fit prisonnier tout ce joli petit monde, et mit à leur place son propre frère Joseph Bonaparte, qui sera affublé par les Espagnols du sobriquet de « Pepe Botella »...

    Dès le 2 mai 1808, les madrilènes comprirent ce qui se passait, et se lancèrent contre les Français dans une guerre de rues : des bandes très rudimentairement armées se constituèrent à la hâte, dont n’importe qui, souvent des « durs » de quartier, pouvait s’improviser chefs.

    La résistance fut farouche, mais Murat réussit à l’écraser avec les chasseurs à cheval de la Garde impériale appuyés par les mamelouks.

    Il en résulta les massacres que Goya a peints dans son « Dos de mayo ». Le lendemain, ce fut le « Tres de Mayo » —autre tableau de Goya—, au cours duquel «Seront fusillés tous ceux qui durant la rébellion ont été pris avec des armes », selon les ordres mêmes de Murat.

     A ce moment-là, notre Luis Candelas avait exactement 4 ans, et tout cela se passait à deux pas de chez lui.

     
    Il était né en 1804, en plein cœur du vieux Madrid où son père menait une activité prospère de menuisier.

    Dernier de trois enfants, il put bénéficier de brèves années d’études dans un collège de Jésuites du quartier, où il ne fit pas long feu, ayant généreusement rendu une gifle à l’un de ses maîtres qui avait cru bon de commencer en lui en donnant une... Aujourd’hui, c’est le maître qui aurait des problèmes !

    Très bon début, qui ne fit que se confirmer par la suite, et sur les deux tableaux : la violence de caractère, et aussi... le goût pour la lecture ! Ce sont là deux premières clefs.

    Les chroniques ne disent pas quel âge il avait, mais ce que l’on sait, c’est que, déjà pré-adolescent, il était devenu le chef d’une des bandes de voyous de son quartier, dont la spécialité étaient les affrontements à coups de pierres.

     
    L’Histoire avançait vite.

    Les Français étaient installés en Espagne, mais la Résistance s’organisait, si l’on peut employer ce mot, dans l’espoir du retour du roi Fernando VII « El Deseado » —Le Désiré—. Pauvre peuple qui ne savait pas ce qui l’attendait.

    En fait, le pays entier était à feu et à sang, à la fois dans la lutte contre l’envahisseur et dans des affrontements révolutionnaires entre « afrancesados », partisans des Français pour des raisons diverses (collaborationnisme, adhésion à la philosophie des Lumières, etc.) et monarchistes conservateurs.

    Dès 1810, un groupe de parlementaires s’était constitué à Cádiz, dans l’Ile de León, afin d’élaborer une Constitution qui serait soumise à Fernando VII, dès son retour. La rédaction en fut achevée en 1812.

    Luis Candelas avait alors 8 ans.

     Au sein de la Résistance populaire, tout le monde avait sa place, y compris la pègre dans toutes ses composantes les plus bariolées, et tout acte de vandalisme, de sabotage, de vol, et ce que l’on peut encore imaginer, concourait à affaiblir l’envahisseur français. Ce fut la « guerrilla », et c’est de là que vient le mot.

    Cela se termina en 1814, avec l’aide du Portugal et de l’Angleterre alliés, par la plus grave défaite de Napoléon.

    Et par le retour triomphal de Fernando VII, qui installera aussitôt le plus rétrograde des absolutismes, et laissera ses parents mourir en exil...


    Luis Candelas avait 10 ans. Il avait toute sa « carrière » personnelle devant lui.

    Nous allons le voir devenir très rapidement un authentique brigand.

    A quinze ans, il est arrêté une première fois pour un larcin et deux ans plus tard, emprisonné pour tapage nocturne.

    A 19 ans, à la mort de son père, il s’installe comme libraire —on retrouve son goût pour les livres—, mais dans le même temps —déjà sa tendance à la double vie—, il vole des chevaux et des mules, et cette fois il prend six ans, assortis de travaux forcés. Qu’à cela ne tienne, il s’évade au bout de huit mois. Il est repris, puis gracié en 1925. A 19 ans.

    De retour à l’air libre, il devient chef de bande et, favorisé par sa belle prestance, ses « gains » substantiels et l’élégance vestimentaire qu’il cultive, Don Juan notoire.

    Dans les premières années 30, le personnage est bien installé, et tout ne fera que croître et embellir : vols de plus en plus audacieux et fructueux, conquêtes féminines de plus en plus voyantes, nouvelles incarcérations suivies d’évasions de plus en plus spectaculaires, etc.

    Toujours en accord avec sa maxime favorite : « La fortune est mal répartie », distribuant parfois ses butins aux pauvres et, surtout, sans jamais le moindre crime de sang !

    Tout cela faisait croître la plus grande admiration dans son milieu, et même bien au-delà !

    Histoire de tromper son monde, ou sincère désir de se « ranger », il fut un temps, et ça ne s’invente pas, agent du fisc chargé de réprimer la contrebande !

    Son inclination pour la double vie et pour le transformisme se concrétisa plus nettement au moment où il décida de se constituer, au recto de sa médaille, une deuxième personnalité : pendant la journée, il était « don Luis Alvarez de Cobos, Hacendista en el Perú » (homme d’affaires au Pérou), manège facilité par une double entrée pratiquée dans sa maison. Cela lui permettait de rencontrer, entre autres, des dames de la haute société.


    Pendant ce temps-là, Fernando VII, le « Roi félon » poursuivait sa politique obscurantiste et répressive, faisant prendre à l’Espagne un terrible retard. On en était à l’époque de la « Décennie abominable », la dernière et la pire de son règne.

    Mais il avait, lui aussi une double vie, traînant dans les quartiers louches la nuit, se faisant approvisionner en belles à la cuisse légère par ses amis truands, tant et si bien qu’ils partagèrent un temps la même maîtresse, la célèbre « Naranjera ». Ça, ça vous « classe » un bonhomme, non ? Et ça étoffe une légende !


    Nous passerons les mariages et amours ratés et sur les nouveaux emprisonnements, sauf un au cour duquel il se lia d’amitié avec un prisonnier politique libéral important, Salustiano de Olózaga, qu’il réussit à faire s’évader, grâce à un réseau commun, tout en restant lui-même en prison, car il s’y était engagé.

    Cela lui valut, après qu’il se fût évadé un peu plus tard —au diable les promesses !—, d’être admis chez les Francs Maçons par Olózaga lui-même dans la Loge maçonnique « Libertad n°6 », sous le nom de Thémistocle.

    Notons queThémistocle (v. 524 – 459 av. J.-C.), né d'une famille de petits commerçants, était un homme d'État et stratège athénien qui joua un rôle déterminant dans la victoire de la Grèce lors son invasion par les Perses.

    Un hasard ? Une piste pour comprendre notre homme ?

    Le roi mourut en 1833. Comme prévu par son testament , María Cristina de Borbón, son épouse, hérita de la Régence, et se montra moins cruelle envers les Libéraux qui reprirent un peu espoir lorsque, prise au dépourvu dans la crise de succession carliste, elle leur demanda de constituer un gouvernement provisoire.

    Luis Candelas n’avait pas encore 30 ans, et il avait des projets grandioses, ce qui le conduisit à commettre de très —trop— gros coups : il dévalisa successivement un prêtre, l’ambassadeur de France et la couturière de la reine elle-même qu’il abandonna dans son atelier, ligotée et « en chemise ».

    Trop c’est trop : il fut découvert et pris en chasse. Il pensa alors fuir en Angleterre avec sa nouvelle conquête, qui était prête à l’épouser. Mais au moment de s’embarquer, la jeune fille recula et, voyez ce que peut faire l’amour : il recula avec elle, et ce fut là sa perte.

    Trahi par un ancien ami, il fut repris et condamné à mort, à la mort infamante du « garrote vil ».

    Malgré l’inextricable trame de ses relations brigando-aristocratiques, et l’imbroglio des maîtresses croisées, malgré une supplique, certes un peu naïve, adressée à la Régente, il ne réussit pas à faire commuer sa peine...

    La légende, toujours inventive et prolixe avec lui, enjoliva —ou rapporta vraiment— ses tout derniers instants : il fit remarquer au bourreau qu’il lui manquait un bouton de chemise, il refusa de se confesser sur la Bible et demanda à la place un livre de Voltaire, puis termina en criant : “Sé feliz,patria mía”, « Sois heureuse, oh ma Patrie ».

    Le 4 novembre 1837, le tourniquet du garrot vil lui brisa la nuque. Il avait 33 ans, l’âge... du Christ.

     

    Luis Candelas : le problème ou le symptôme ?

    Déjà les aveugles au coin des rues chantaient sa courte vie romantique en refrains populaires, et les cabarets résonnaient de ses prouesses mises en prose et en vers dithyrambiques.

    Voilà notre homme.

    A-t-il « dépassé sa circonstance », selon la formule évoquée plus haut ? A l’évidence, non.

    Mais n’a-t-il pas plutôt été victime d’un dramatique anachronisme infligé par les sournoises voies du Destin ?

    Vingt ans plus tôt, tous ses dons, toutes ses prouesses, toute sa vitalité, tout son charisme ici dévoyés, auraient concouru à la lutte chevaleresque contre l’envahisseur français pendant la Guerre d’Indépendance. Il aurait été un héros porté aux honneurs et aux nues. Des places et des rues s’enorgueilliraient maintenant de son nom, comme c’est le cas pour d’autres qui, peut-être, ne le valaient pas.

    Et le voici aujourd’hui, incarné par un figurant déguisé en brigand de pacotille dix-neuvième romantique, à la porte d’un restaurant snob qui arbore son nom, et dont le principal mérite est que l’on y mange « les meilleurs agneaux de Madrid »...

    Triste ironie du sort !

    Daniel D.

     


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  • Le Père Noël et l’Espagne


    Même si de nos jours le temps est conçu comme linéaire, sur la flèche qui va du passé vers le futur, en passant par l’insaisissable présent, nous n’en restons pas moins tributaires, et peut-être pour l’essentiel, de la conception cyclique des anciens, avec les fêtes, les saisons, le mythe de l’éternel retour, etc. C’est pourquoi les « fêtes de fin d’année » nous ramènent toujours les mêmes personnages. Chronologiquement, le Père Noël, l’Enfant Jésus, et les Rois Mages.
    Amusons-nous un peu: parmi ces derniers, lequel est le plus historiquement attesté?

    Jésus ?

    Les historiens rigoureux, ceux qui ne jurent que par les preuves tangibles, vous diront que l’existence de Jésus n’est attestée que par quelques courtes lignes de son presque contemporain, l’historien juif Flavius Josèphe (Jérusalem, 37 / Rome, 100), et encore certains se demandent-ils si ces phrases n’ont pas été interpolées dans ses écrits, par une main de scribe prosélyte...

    Ce texte dit à peu près ceci : à l’époque, est apparu un homme que l'on appelait Jésus. Il avait la réputation d'être sage et il a montré cette sagesse par ses miracles et ses enseignements. Il a converti beaucoup de personnes, mais les leaders Juifs l'ont accusé devant Pilate qui l'a fait crucifier. Ses disciples ont refusé d'abandonner la dévotion qu’ils lui témoignaient, malgré sa mort infamante.

    Si l’on s’interroge sur la date de naissance de l’Enfant Jésus, on a quelques surprises : en gros, il serait né en 2, 4, 5 ou même 7 avant J.C et, en tous cas, pas un 25 décembre, date mentionnée pour la première fois comme telle par Hippolyte de Rome, en 204 seulement.

    Le 25, c’est le solstice d'hiver, la renaissance du “Soleil Invaincu", divinité adorée par les Empereurs Romains, qui a été ainsi “recouverte” par l’Eglise Catholique .

    En réalité, Jésus n’a pas pu naître en hiver, car on observe qu’à cette époque-là, les bergers étaient dans la montagne.

    Peu de choses, en somme...


    Les Rois Mages ?

    Les personnages hauts en couleurs que l’on voit défiler dans les rues en Espagne, début janvier, sont bien évidemment de pures inventions du folklore religieux!

    Par contre, ce folklore semble avoir des bases astronomiques et ésotériques sérieuses, que seuls des initiés, peut-être, sont capables de décoder... Il s’agirait des trois étoiles du baudrier d’Orion, Alnitak, Alnitam et Mintakah, celles dont l’alignement correspond exactement à celui des trois Grandes Pyramides !

    Orion, qui intéressait tellement les Pharaons, et passionne encore les astrologues et autres ésotéristes d’aujourd’hui.

       

     

    Les « Mages » sont mentionnés seulement dans l'évangile de Matthieu. C’étaient des visiteurs qui venaient rendre hommage à Jésus, le jour de sa naissance, et l’Evangéliste ne précise ni leur nom ni leur nombre. Ils offrirent de l'or, de la myrrhe et de l'encens qui symbolisent les fonctions de roi, de prêtre et de prophète.

    Avertis de la naissance imminente de Jésus, ils avaient suivi une étoile qui les avait menés jusqu'à lui, et cette « étoile » pourrait bien avoir été la conjonction exceptionnelle Jupiter-Saturne de l'an 7 Av. JC.

    Ce n’est qu’au Moyen Age, qu’ils furent affublés du titre de Rois, et qu’on leur donna des noms.

    C’est bien vague, tout ça...

     Alors, le Père Noël ?

    L’ancêtre le plus clairement identifié du Père Noël est St Nicolas.

    Qui était ce personnage ?

    Il était né dans une famille de commerçants chrétiens aisés, en 280, à Patara, en Turquie. Ses parents moururent très tôt de la peste, et il décida de se consacrer à Dieu, dans la religion catholique. Pour cela, il distribua tous ses biens aux pauvres, comme le recommandent les Evangiles, et il fut ordonné prêtre à 19 ans. Puis, rapidement, par un curieux concours de circonstances, il fut nommé évêque de Myra, en Anatolie, aujourd’hui Demre en Turquie.

    On lui attribue de nombreux miracles, pas vraiment reconnus par l’Eglise car, en 1969, le pape Paul VI le fit rayer de la liste des Saints du calendrier.

    Il reste cependant le saint Patron des enfants, comme en témoigne la chanson :

    “Ils étaient trois petits enfants

    Qui s'en allaient glaner aux champs... »,

    où il est conté qu’il ressuscita ces trois petits enfants qui avaient été tués, découpés en morceaux et salés par un vilain boucher.

     Il mourut le 6 décembre 342 à Myra et, lorsque cette ville fut envahie par les musulmans, des chrétiens emportèrent secrètement ses restes à Bari, vers 1087.

    En tant que distributeur de cadeaux, il doit aux Protestants, peu amis des saints catholiques, le fait d’avoir été déplacé du 6 au 25, date inventée de la naissance de Jésus, et sous les aspects du Père Noël.

    Voilà brièvement résumée, l’histoire de St Nicolas.

     
    Faisons maintenant un grand saut dans le temps et dans l’espace : nous sommes aux Etats Unis, au XVIIe Siècle.

    Les Hollandais émigrés viennent de fonder un ville la « Nouvelle Amsterdam », qui deviendra plus tard New York. Ils ont apporté avec eux leurs traditions, et, en particulier, celle de St Nicolas (Sinterklaas).

    Jusque là, rien d’extraordinaire, sauf que parmi les histoires qui tournaient autour de ce saint généreux en cadeaux, celle-ci courait dans la ville:, Saint Nicolas venait directement d’Espagne, et même parfois directement de Madrid, où il s’approvisionnait en cadeaux à distribuer, et il en venait... en bateau ! Mieux, à son retour, il emmenait en Espagne les enfants qui s’étaient mal comportés durant l’année écoulée !

    Alors, qu’est-ce que cela signifie ?

       

                                                                  Dessins actuels provenant des Pays Bas. « Spanje » = Espagne.

     Rappelons que les restes de St Nicolas sont à Bari, et que Bari est en Sicile. Or, depuis 1409 la Sicile appartenait à la Couronne d’Aragon, puis de l’Espagne unifiée par les Rois Catholique : St Nicolas était donc bel et bien enterré « en Espagne ». Cela, pour expliquer son arrivée d’Espagne, à la Nouvelle Amsterdam. Pour ce qui est de sa venue de Madrid en bateau, cela paraît un vrai défi pour qui connaît la largeur et la profondeur du Manzanares, le ruisseau qui traverse la ville...

    Pour la seconde partie de l’histoire, il faut se souvenir que les « Pays Bas » étaient espagnols à ce moment-là, avec Charles Quint et son fils Philippe II. Et que les habitants de ces régions se sentaient plutôt « envahis », d’où une inimitié certaine, et l’assimilation de l’Espagne à un méchant pays ! C’est toute l’ambivalence Père Noël / Père Fouettard...

     
    Alors ? Si le Père Noël était le plus historique de tous, et de plus espagnol, malgré Coca Cola ?

     
    Le Père Noël est un personnage forcément venu de l’Hémisphère Nord, puisqu’il est l’un des avatars du Solstice d’hiver, c’est à dire de la renaissance du Soleil et de la Lumière.

    On mesure donc l’incongruité de le fêter à la même date dans l’Hémisphère Sud, à un moment où, précisément, y meurent le Soleil et la Lumière ...

     

       

     


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  •    avril 2013 - Thérèse d'Avila par Daniel D.

    Santa Teresa de Ávila, une femme hors du commun

     « Et un scribe s'étant approché [de Jésus], lui dit : Maître, je te suivrai partout où tu iras. Et Jésus lui dit : Les renards ont des tanières, et les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête. »    Matthieu  18  et 19.

    Au beau milieu du XVIème Siècle espagnol, encore totalement plongé dans le Moyen Age, dans les fournaises de l’été et les cruelles glaces de l’hiver du haut plateau castillan (Ávila est située à 1000 m d’altitude !), Sainte Thérèse a inlassablement parcouru des chemins caillouteux, poussiéreux, assise sur son âne.

    Au cours de ses déplacements, cette femme, qui a été gravement malade toute sa vie, n’oubliait jamais d’emporter sa botte de paille, à la fois pour nourrir son âne et pour être sûre d’avoir un lit dans ces fameuses « auberges espagnoles » qui devaient être encore pires que ce qu’en a fait la légende...

     Ça n’était sûrement pas facile pour elle, si l’on en juge par ces deux maximes écrites de sa main: « Ou souffrir, ou mourir » et « La vie est une mauvaise nuit dans une mauvaise auberge » !

    Elle a cependant réussi à fonder 16 couvents, à écrire de nombreux ouvrages qui sont des chefs d’œuvres de référence, et à faire tant d’autres choses encore.

    Tout cela, grâce à une volonté de fer, un humour et une joie de vivre qui nous laissent pantois. Un soir, soupant avec elle dans une de ces mauvaises auberges, St Jean de La Croix qui était parfois son compagnon de route, regardant fixement la flamme de la bougie, y passa son doigt rapidement et s’exclama : « Ma sœur, si la flamme de cette petite bougie brûle si fort, je me demande comment doivent brûler les flammes de l’Enfer ! » A quoi elle répondit : « Eh bien moi, frère Jean, en dégustant cette simple crème aux œufs, je me demande comment seront les joies du Paradis ! » L’art de positiver !

    Avec cette femme d’exception, oubliez les mièvreries et les bondieuseries convenues ! Rappelons une de ses maximes : « Une religieuse triste est une triste religieuse. »

    Elle était née en 1515 à Avila, d’origine juive par son père, un an avant que Philippe II ne prenne le pouvoir.

    Elle fut une petite fille à la fois très espiègle et attirée par Dieu. C’est ainsi qu’elle adorait se maquiller et lire des livres de chevalerie, mais que, dans le même temps, avec son frère Rodrigo, elle entreprit une fugue pour aller chercher le martyre chez les « Infidèles » musulmans, pour se faire décapiter par eux, et ainsi accéder plus vite au « Ciel ». Inutile de dire qu’ils furent vite retrouvés ! Ils tentèrent ensuite de se rattraper en construisant dans le jardin de la maison des cabanes en pierres qui leur retombaient sur la tête, pour en faire des ermitages et s’y faire moines. Ils avaient alors 5 et 6 ans...

    avril 2013 - Thérèse d'Avila par Daniel D.

    A l’âge de 14 ans, elle perdit sa mère, et se tourna alors vers la Vierge, pour remplacer la défunte.

    Mais elle continuait à se maquiller, à se parfumer, à papillonner, et à lire des livres de chevalerie. Toujours cette ambivalence d’adolescente difficile !

    Son père, chrétien rigoureux comme le sont tous les nouveaux convertis (en profondeur, ou de façade par obligation...), s’en inquiéta grandement ; il la plaça donc, pour la faire « redresser », au couvent des Augustines, à Avila.

    Malheureusement, cela ne dura pas car, au bout d’un an et demi, elle contracta une première grave maladie. De retour à la maison, elle se mit à réfléchir et s’orienta alors définitivement vers la voie de la sainteté. Tellement bien qu’elle voulut se faire religieuse, alors que son père le lui interdisait.

    Qu’à cela ne tienne, à 20 ans elle réintégra le couvent qui, à l’époque, n’ était pas encore de clôture, c’est à dire que les religieuses n’étaient pas cloîtrées, qu’elles pouvaient aller et venir, et recevoir n’importe qui. Détail important pur la suite...

    Encore une fois, cela ne dura pas, car une autre grave maladie s’abattit sur elle, et il fallut de nouveau la ramener à la maison.

    Les médecins et les guérisseurs s’acharnèrent si bien sur elle que le mal empira, et qu’ils se déclarèrent impuissants. Elle tomba dans un coma si profond qu’on la crut morte pour de bon... Même les tests les plus cruels ne donnaient aucun résultat, par exemple lui faire couler sur les paupières de la cire fondue de bougie.

    Au bout de quatre jours, sa tombe était creusée, et tous les préparatifs étaient faits.

    Mais voyez, ce père si sévère, qui devait aimer beaucoup sa fille, n’y croyait pas, et il retardait la cérémonie. Bien lui en prit, car Thérèse sortit soudain du coma ! Pas en très bonne forme, malheureusement, car elle était entièrement paralysée. Elle avait 23 ans !

    Elle resta ainsi trois longues années, et elle raconte elle-même que, lorsqu ‘enfin elle put marcher à quatre pattes, elle se sentit sauvée !

    Chaque historien, chaque médecin féru d’histoire, s’est essayé à un diagnostic de cette étrange maladie qui la suivra toute sa vie, et chacun à la lumière ou aux ténèbres de sa spécialité. Une chose semble sûre : il ne s’agissait pas de « maladie mentale » ou autre dérèglement psychiatrique infamant, mais probablement d’une dégénérescence des neurones due à la malaria, endémique dans la région à cette époque, ou à la brucellose.

    Revenue au couvent, elle y restera vingt ans, avant de se lancer sur les routes pour sa mission de fondation de couvents et de réforme du Carmel.

    En attendant, d’autres « maladies » la guettaient !

    En 1560, un ange apparut à ses côtés, et lui transperça le cœur avec un dard d’or terminé par une pointe de feu.

    Ecoutons comment elle raconte elle-même cette aventure extraordinaire :

    « Le Seigneur voulut que j’eusse cette vision: je voyais un ange auprès de moi, sur le côté gauche, sous forme corporelle, ce que je ne vois d’habitude que par pure merveille. Même si les anges se présentent souvent à moi, c’est sans que je les voie, sous la forme de cette vision dont j’ai d’abord parlé.

    Lors de cette vision, le Seigneur voulut que je le visse ainsi: il n’était pas grand, mais petit, très beau, son visage tellement enflammé qu’il semblait être très haut placé, de ceux qui, dit-on, s’embrasent tout entiers. Ce sont, je pense, ceux que l’on nomme chérubins ; en effet ils ne me disent pas leurs noms ; et je vois bien que dans le ciel il y a tant de différence entre certains anges et d’autres, et entre d’autres et d’autres encore, que je ne saurais le dire.

    Je voyais entre ses mains un long dard en or qui, à la pointe du fer, me semblait porter un peu de feu. Parfois j’avais l’impression qu’il m’enfonçait ce dard à travers le cœur et que cela arrivait jusqu’à mes entrailles. Et il me semblait que le fer les emportait avec lui quand il le retirait, et je restais tout embrasée du plus grand amour de Dieu.

    La douleur était si intense qu’elle me faisait pousser ces faibles plaintes dont j’ai parlé, et la douceur causée par cette indicible douleur est si excessive, qu’on n’aurait garde d’en appeler la fin ; l’âme ne peut se contenter de rien qui soit moins que Dieu. Cette souffrance n’est pas corporelle, mais spirituelle même si le corps n’est pas sans y participer un peu, et même beaucoup. C’est une galanterie si douce qui s’échange entre l’âme et Dieu, que je supplie sa bonté de la faire goûter à qui penserait que je mens. »

    Cet épisode est celui qui a fait couler le plus d’encre, de la part d’auteurs les plus variés, sérieux, illuminés, fanatiques, sceptiques, matérialistes, psys, et j’en passe.

    Il a même été écrit qu’aucun auteur de textes érotiques n’est allé aussi fort dans le « hard » !

    Loin de moi l’idée d’en rajouter !

    Je remarquerai simplement que chacun fait une lecture du réel à travers ses propres références, ses systèmes de valeurs, ses obsessions, ses déformations professionnelles, etc.

    La seule trace objective de cet épisode a été relevée lors de l’autopsie (du « dépeçage », comme nous le verrons) du corps défunt de la sainte : une large cicatrice apparaissait bien en évidence sur son cœur.

    Ce qui est important pour nous, c’est la lecture que faisait Sainte Thérèse de toutes ses tribulations : elles les considérait toutes comme envoyées par Dieu, pour sa purification.

    Cela me semble bien important : vraie ou fausse, si on a une raison transcendantale de croire, on va de l’avant !

    Les visions de toutes sortes, les lévitations aussi, semble-t-il, ne cessèrent de la poursuivre, ou de la gâter, c’est selon... Quoi qu’il en soit, elle s’en ouvrait à ses confesseurs et autres directeurs spirituels qui, ne comprenant rien (d’ailleurs, elle qui n’avait pourtant pas fait d’études poussées, disait qu’elle les trouvait incompétents), attribuaient tout cela au diable, et lui donnaient de bien curieux conseils. Par exemple celui-ci : devant tout nouvel assaut du diable, elle devait faire le geste de l’ « higo » (la figue) pour le chasser.  Et la pauvre nonne était horrifiée, préférant encore les méfaits du diable que de faire cela ! Il faut dire que le geste de l’higo, geste que l’on fait innocemment aujourd’hui en pinçant le pouce entre l’index et le majeur, poing fermé, pour faire croire à un enfant qu’on lui a enlevé le nez, signifiait alors en Espagne faire... un doigt d’honneur !

     Revenons un peu sur l’ambiance des couvents au XVIème Siècle : cool, cool, dirait-on maintenant. Mieux, outre qu’ils permettaient de caser des oisives (on dirait de nos jours des chômeuses) ou d’éloigner des indésirables, c’étaient de véritables salons où l’on cause, et des lieux de rencontres en tout genre...

    Cela ne convenait vraiment pas du tout à notre sainte qui avait, pour elle-même, pour le service de Dieu, et pour les femmes, de bien plus hautes visées.

    D’ailleurs, si elle déclarait « L’expérience m’a appris ce qu’est une maison remplie de femmes. Que Dieu nous garde de ce mal ! », ce n’était peut-être pas pour rien.

    Mais, ne nous y trompons pas, elle est une authentique précurseuse du féminisme le plus remarquable. Et si on la comprend bien, ce n’est pas un paradoxe.

    C’est pour lutter contre cette décadence qu’elle entreprit de r »former l’Ordre du Carmel.

    Et voilà comment, en pleine Contre Réforme, sous le règne du très « intégriste » pape Saint Pie V (l’idole des fidèles de Saint Nicolas du Chardonnet, vous voyez ?), en plein essor de l’Inquisition avec qui elle avait d’ailleurs eu pas mal de problèmes, Sainte Thérèse qui était bien loin de tout cela, et peut-être même sans le savoir, devint l’alliée objective de tout ce beau petit monde !

    Nous avons vu qu’elle a beaucoup écrit: des récits autobiographiques, rédigés sur l’insistance de ses confesseurs, mais avec beaucoup de bonne foi, de sincérité, et une profondeur psychologique étonnante pour son époque, mais aussi, plus spontanément, des poèmes que nous allons regarder un peu.

    Par exemple, celui-ci, qui lui est seulement attribué, mais qui lui ressemble tellement:

    “No me mueve, mi Dios, para quererte,

    el cielo que me tienes prometido,

    ni me mueve el infierno tan temido

    para dejar por eso de ofenderte.”

    Etc.

    Le ciel que tu m’as promis

    Ne m’incite pas, mon Dieu, à t’aimer,

    Ni l’enfer tant redouté, ne me conduit

    À cesser par sa crainte de t’offenser. 

         avril 2013 - Thérèse d'Avila par Daniel D.

     Eh bien, une chercheuse universitaire a retrouvé un texte qui dit ceci:

    “Oh, mon Seigneur, si je T’adore par peur de l’enfer,

    Brûle-moi en enfer,

    Et si je t’adore dans l’espérance du paradis,

    Exclus-moi de lui.”

    Etc.

    De qui, ce texte? D’une poétesse nommée Rabi’a al-‘Adawiyya, musulmane soufie, née à Basora en Irak, aux alentours de 713!

    Des explications?

    avril 2013 - Thérèse d'Avila par Daniel D.

    Nous avons vu que Saint Jean de la Croix était un compagnon de Sainte Thérèse dans ses déplacements missionnaires; il l’était aussi dans ses études.

    Or, Saint Jean avait des ancêtres maures, et était parfaitement au fait de la mystique soufie.

    Encore un exemple, juste pour y réfléchir: les “sept demeures de l’âme”, caractéristiques de la mystique de Sainte Thérèse, son exactement les mêmes, trait pour trait, que celles des soufis.

    On pourrait voir un paradoxe dans le fait que les deux plus grands mystiques chrétiens espagnols aient été l’une d’origine juive et l’autre de descendance arabo-musulmane !

    Mais, si l’on y regarde d’un peu plus près, ce n’est pas le cas du tout. En effet, les mystiques de toutes les obédiences s’entendent parfaitement entre eux, car ils savent, au fond, que les religions n’ont pas grand chose à voir avec Dieu, car Dieu est au fond de chacun de nous.

    C’est bien ce qu’affirmait haut et fort (la deuxième partie de ma phrase seulement...) Sainte Thérèse, lorsqu’elle déclarait que le Seigneur n’est pas dans l’au-delà, mais en chacun de nous, autrement dit que la transcendance est dans l’immanence. Dans son langage concret de bonne Castillane, elle formulait cela ainsi: « Dieu est parmi les casseroles et les marmites ».

    Vous comprenez maintenant ces gros ennuis avec l’Inquisition, plus préoccupée de religion (et de politique) que de Dieu, en ces temps du Concile de Trente !

    Retrouvons Sainte Thérèse sur la dernière étape de sa vie terrestre.

    Septembre 1582, elle est encore sur les routes, de retour de Burgos où elle vient de finaliser sa dernière fondation, mais elle souffre, entre autres calvaires, d’un cancer de l’utérus —la « maladie des religieuses vierges »...—, en phase terminale. Elle souhaite rentrer mourir à Avila.

     

    Mais le devoir l’appelle, en la personne de la Duchesse d’Albe —la plus haute noblesse espagnole— qui s’apprête à accoucher à Alba de Tormes, et réclame sa bénédiction.

     

    Elle ne pourra pas aller plus loin.

     

    Curieuse coïncidence: Thérèse est morte au cours de la plus longue « nuit » de l’Histoire, celle qui s’étendit du 4 au 15 octobre 1582, en raison du passage du calendrier Julien au calendrier Grégorien !

    avril 2013 - Thérèse d'Avila par Daniel D.

    Sa dernière étape, celle d’Alba de Tormes ?

    Oh, que non !

    Neuf mois après sa sépulture, le corps fut exhumé : on le trouva intact, signe évident de sainteté !

    C’est alors que la cohorte des rapaces du trafic de reliques se jeta sur ce corps : un premier religieux commença le dépeçage par une main, dont il garda soigneusement pour lui le petit doigt, ben voyons !

    Son pied droit et une partie de sa mâchoire supérieure partirent à Rome.

    Sa main gauche se retrouva à Lisbonne.

    Son œil gauche et sa main droite commencèrent leur périple par Ronda, et cette main finit, volée au cours de la Guerre Civile, dans celles de Francisco Franco qui la garda près de lui jusqu’à sa propre mort.

    Un de ses doigts voyagea jusqu’à Notre Dame de Lorette, à Paris.

    Un autre doigt est à Sanlúcar de Barrameda.

    Sans compter d’autres restes indéterminés, qui ont été dispersés dans toute la Chrétienté.

    Finalement, son bras gauche et son cœur sont encore dans des reliquaires à Alba de Tormes, ainsi que ce qui reste de son corps.

    Whaoooou !

    On a envie de respirer...

    Eh bien, je vous propose deux « lieux de pouvoir », pour vous régénérer : le tombeau lui-même de la Sainte, à Alba de Tormes, et la « pierre de Sainte Thérèse », gros bloc massif posé dans l’angle gauche de la façade sud de l’Escorial.

    Et pourquoi cela ?

    Il faut y croire : il s’agit de radiesthésie !

    Selon les radiesthésistes, les « vibrations » normales de l’environnement sont de 6.5OO à 8.000 Unités Bovis. Or, les deux lieux cités accusent 25.5OO Unités.

    Et certains se demandent si ce phénomène ne serait pas la cause véritable de la momification de la Sainte, à Alba de Tormes…

    Quant à la « pierre », on dit que Thérèse y reprenait un peu ses esprits avant de se trouver face à face Philippe II ! Y croyait-elle elle-même ? Est-ce qu’elle y ressentait quelque chose ?

    Ça ne coûte rien d’essayer, non ?

    Daniel D.

     


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  • En voici bien un “ marronnier ” particulièrement robuste, auquel les plus savants de nos penseurs       polémistes se coltinent à qui mieux-mieux, et qui refleurit plus souvent qu’à sa propre saison !

    Entre les défenseurs de la “ Fête Nationale ”, de l’ "Art de la Tauromachie ”, de la “ Tradition ” et du Négoce qui ne dit pas son nom, les “ aficionados ” (ce sont souvent les mêmes !) et les névrosés hystériques “ antitaurins ” (je ne sais pas pourquoi j’ai envie de mettre cette catégorie au féminin…), sans compter les Eglises ni les tribus politiciennes, il règne, dans ce milieu une désinformation foisonnante, une opacité, une ignorance, un snobisme et une mauvaise foi que l’on aimerait mettre en lumière !

    Lumières sur la corrida par Daniel D. 

    Il n’est pourtant pas très difficile de faire la synthèse.

    Comme chacun le sait, TOUT provient du sacré, mais attention, il nous faudra bien définir ce mot.

    Et, plus concrètement, tout “ descend ” du sacrifice humain initial du “ bouc émissaire ”, tant sur le plan collectif qu’individuel. Puis, le sacrifice humain est remplacé par celui d’un animal; c’est ce que l’on voit dans l’épisode biblique du sacrifice d’Abraham.

    Ensuite, tout devient plus symbolique, puis enfin tout dégénère, et dans nos civilisations et sociétés “ désacralisées ” ou “ décadentes ”, chacun donne un sens particulier au phénomène, en fait une “ lecture ” personnelle, selon ses orientations, ses goûts, ses intérêts, sa politique, ses perversions, ses peurs, ses névroses, son ignorance, etc.

    Bref, le sens fondateur est perdu, la coquille est vide, et l’on en est maintenant arrivés à décorer, enjoliver, enluminer, salir et vilipender cette coquille vide, et à l’adorer ou à la diaboliser pour elle-même !

     Examinons “ le sacré ”.

    Habituellement, et dans le langage de tous les jours, “ sacré ” est associé à ineffable, à divin, aux puissances de l’au-delà, à ce qui inspire la crainte et le respect.

    C’est déjà oublier que “ sacré ” est associé aussi à diabolique, à odieux, à satané, à blasphématoire, comme dans l’expression “ un sacré bordel ” !

    Sa double face ou charge sémantique contradictoire fait de “ sacré ” un terme typiquement “ primordial ” ou “ fondateur ”.

    Tous les mots qui sont construits ainsi désignent quelque chose qui est à la fois le remède et le poison, par exemple “ tabou ” qui signifie à la fois “ pur ” et “ impur ”. C’est aussi le cas pour l’eau destructrice du “ déluge ” et en même temps salvatrice du baptême. Et aussi pour le feu.

    Et l’on en vient au “ sacrifice ” (du bouc émissaire ou de n’importe lequel de ses substituts). Le terme “ sacrifier ” vient du latn “ sacer ” et de “ facere ”, c’est à dire… rendre sacré !

    Le “ sacré ”, c’est l’autre nom de la violence, comme dirait René Girard !

    Le sacrifice, qui est une violence exercée sur une seule victime, est une violence rituelle, donc institutionnelle, qui vient contrecarrer la violence du chaos (individuel et collectif), et se substitue à elle, pour rétablir l’ordre à tous les niveaux.

    C’est donc bien une “ religion ”, au sens ou “ religare ” qui veut dire “ relier ”, signifie recréer du lien dans un groupe et, intérieurement, dans chacun de ses individus.

    Faut-il rappeler à ce sujet, que le pluriel précède toujours le singulier dans la formation des langues et des sociétés ? D’où le retour à la « masse » que l’on verra plus loin.

    A partir de là, il est possible de tout mettre en perspective: des peintures rupestres d’il y a 20 ou 25000 ans, des cultes anciens des dieux de l’âge du bronze aux diverses mythologies et de tant d’autres « fêtes », qui sont les véritables ancêtres de la corrida.

    Les anciens Grecs, les Crétois et les Romains utilisaient les taureaux comme victimes les plus ordinaires des sacrifices qu'ils offraient à nombre de leurs dieux.

    Avant de les immoler, ils leur doraient les cornes, les ornaient par exemple de différentes étoffes couvertes de fleurs, etc., ce qui renvoie directement au traitement de choix offert au "pharmakos" avant son sacrifice.

    L'Antiquité débordait ainsi de véritables carnages de ce type, tous liés à des dieux fondateurs, à des rites de fécondation, de fertilité, à des désordres sociaux ou à des comportements individuels scabreux, et à des remises en ordre postérieures. Par exemple, Pasiphaé, l’épouse de Minos tombe amoureuse d’un taureau… dont elle a un fils, le Minotaure, qui sera tué (sacrifié) par Thésée. 

    Lumières sur la corrida par Daniel D.

    Pourquoi le taureau ? Evidemment en raison de sa force vitale, sexuelle, etc. En grec ancien, le mot "taureau" était le symbole même de la force !

    Je voudrais faire ici au passage une hypothèse, à propos du “ mythe ”.On sait que le mythe est le cœur de toute civilisation, celui qui la structure et lui donne un sens transcendantal. Or, il semble que l’étymologie du mot “ mythe ” soit, en grec ancien “ mu-tos ”, où l’on voit assez bien le mot “ theos ”. Quant à “ mu ” qui signifie cri guttural, il pourrait s’agir du mugissement du taureau dont parle Eschyle: durant les “ mystères ”, on entendait le dieu mugir comme un taureau, depuis un lieu invisible.

     On pense ici au rhombe, qui « mugit » lui aussi, et cela, depuis l’âge des cavernes…

    Observons, par ailleurs, que le taureau est un des douze signes du zodiaque et que, curieusement, la Plaza de Toros est divisée en douze secteurs !

     Au deuxième Siècle avant J.C., les Romains ont entrepris la conquête de la Péninsule Ibérique, et ils ont bien évidemment, apporté leurs religions, leurs coutumes, leurs fêtes. Par exemple, le culte de Mithra, qui était très répandu à cette époque chez les soldats, avec rites initiatiques et sacrifices de taureaux.

    Parallèlement à cela, il devait exister des cultes rendus aux taureaux dans l’Espagne de l’Antiquité, ce dont semblent faire foi les fameux “ Toros de Guisando", dans la province d'Avila.

    On suppose donc que, tout au long de la conquête, et durant tout le haut Moyen Age, la coutume des sacrifices de taureaux a été conservée, même si l’on ne sait pas exactement sous quelle forme.

    Les premières "corridas" attestées en Espagne datent du XIIIe Siècle.

    A Cuéllar (Segovia), en 1215, l'évêque décréta qu’aucun ecclésiastique ne devait jouer aux dés ni assister aux jeux des taureaux, et que s’il le faisait, il serait exclu de l’Eglise.

    A la même époque, Alphonse X Le Sage interdit que des jeux d’argent soient associés aux fêtes taurines ; en effet, déjà à cette époque, des “ matadors ” et des “ toréadors ” parcouraient l’Espagne pour intervenir dans ce genre de fêtes, moyennant finance. Intervenaient aussi des “ pages ” qui tenaient le rôle de “ rejonéadors ”.

    Les Nasrides de Grenade (ceux de l’Alhambra) organisaient, quant à eux,  des “ jeux de bêtes ” où intervenaient probablement des taureaux.

      Il semble aussi qu’à ces époques-là, autour des abattoirs de Seville et d’ailleurs, lieux privilégiés de la pègre, dans les “ cours des miracles ” se pratiquaient de grossières festivités taurines lors de l’abattage des bovins, tueries à la suite desquelles les “ matadors ” les plus violents étaient proclamés rois de la fête, et remportaient des prix en nature.

    Durant la Renaissance, on constate une évolution ; par exemple la ville de Barcelone rend hommage au futur Philippe II, en 1542, sous la forme d’illuminations, de danses, de masques et de jeux de taureaux.

    Quant à Cervantès, par le truchement de Don Quichotte, il fait l’éloge de la qualité des élevages de taureaux de combat sur les berges de la rivière Jarama.

    La tradition était donc bien installée !

    Et déjà l’Eglise s’en mêlait.

    En 1567, le pape Saint Pie V (le pape de la Contre-Réforme) interdit formellement et pour toujours les corridas de toros, et décréta la peine d’excommunication immédiate contre tout catholique qui les autoriserait et y participerait.

    Il ordonna également le refus d’une sépulture religieuse aux catholiques qui pourraient mourir des suites d’une participation à un spectacle taurin, quel qu’il soit.

    Etait-ce par charité chrétienne envers les Hommes ou les Animaux, ou par crainte d’un concurrence déloyale de la part de ces séduisantes liturgies ? Déjà !

    Jusqu’au XVIIIe Siècle où Philippe V (le petit-fils de notre Louis XIV) interdit à ses courtisans la pratique de la tauromachie qui lui paraissait barbare, les vraies corridas étaient l’apanage des nobles, un peu comme les tournois, et poursuivaient des finalités semblables : montrer sa force et sa bravoure, faire triompher l’homme sur la bête (entendez : la noblesse de la chevalerie

    sur la bestialité du peuple).

    Curieusement, cette interdiction, édictée par Philippe V renvoya la corrida au peuple qui s’en empara et la développa définitivement.

    Ainsi, dans la seconde moitié de ce même siècle, apparaissent les premiers toreros professionnels qui inventent ou fixent les règles et les techniques, en excluant la pègre et les amateurs.

    Lumières sur la corrida par Daniel D.

    Par la suite, deux événements vont marquer lourdement la corrida du sceau de l’infamie, même si ce fut “ à l’insu du plein gré ” de certains de ses représentants.

    Le premier eut lieu au XIXe Siècle, lors de la Restauration absolutiste de la Monarchie, après le passage de Napoléon et l’enterrement des Lumières. Le détestable Fernando VII ne trouva rien de mieux, et simultanément, que d’ouvrir une Ecole de Tauromachie et de fermer les Universités ! Un magnifique symbole...

    L’autre fut qu’avec la bienveillance du dictateur Francisco Franco, la corrida fut élevée à la catégorie de “ Fête Nationale de l’Espagne ”.

    Les “ mauvaises langues ” diront que, du temps de Franco, il fallait attirer des touristes, et donc des devises en Espagne, mais, tout de même, le rapprochement est singulièrement significatif !

    D’horribles polémiques s’ensuivirent, à savoir lesquels des plus ou moins célèbres “ matadors ” avaient été complices, et jusqu’à quel point, et jusqu’où…

    Politique et corrida, ce n’est pas fini ; on va le voir avec la Catalogne !

    Victoire ! crient les antitaurins de tous poils, si j’ose dire : la Catalogne, pays moderne, civilisé, vient d’interdire les courses de taureaux, au nom du respect des animaux, du rejet de la barbarie, etc.

    Réjouissons-nous !

    Lumières sur la corrida par Daniel D.

    En fait, il n’en est rien !

    Les corridas, c’est vrai, ne sont plus guère fréquentées en Espagne que par quelques “ puristes ” survivants, et surtout par de rares touristes ignares. Bref, cela rapporte peu et coûte beaucoup d’argent public ; le bilan financier est donc mauvais, et cela, dans une Autonomie déjà ruinée …

    Mais, plus encore, comme chacun le sait, la Catalogne, ce n’est preque plus l’Espagne, et tout ce qui rappelle l’ennemi héréditaire, la Castille impérialiste, est à bannir en profondeur !

    Donc, on fait d’une pierre deux coups : expulser un symbole “ étranger ”, et satisfaire les ligues de défense des animaux en surfant sur leurs bons sentiments.

    Bien joué, non ? CQFD.

    Le lecteur me pardonnera de ne pas sombrer dans les pseudo-débats entre les « pour » et les « contre » de la télé-poubelle, que le politiquement correct m’interdit de citer…

     Comment conclure ?

    Je prends, dans le “ MAG été ” de Sud Ouest du 10 août 2013, la petite citation suivante, signée Benjamin Ferret,  à propos des fêtes taurines de Mont de Marsan. La corrida va commencer : “ Il est 18heures. […] Et, imperceptiblement, l’individu est devenu foule. ”

    Tout est dit ! En 2013 ! Et de manière géniale !

    Au-delà des évolutions, involutions, révolutions, dérives commerciales, politiques, religieuses, ignorances, perte de sens, délires, naïvetés, mauvaises fois, snobismes, etc., l’Homme reste le même qu’il y a 25 000 ans ou qu’à l’âge du bronze : un singe raté incapable de se structurer lui-même et de se gérer seul !

    Et, malheureusement, la raison est inopérante sur les couches les plus profondes du cerveau, celles qui gèrent les comportementsbasiques de la survie, en particulier la violence.

    Et l’on n’a jamais su trouver mieux, depuis la nuit de nos temps, que de faire régresser les individus au niveau bestial de la masse, pour réduire leur violence, leurs angoisses métaphysiques ou autres, bref pour faire un “ reset ” collectif qui en produira un, identique et par contagion, sur chacun des pauvres individus que nous sommes !

    Il n’y a qu’à voir le foot, les sectes et certaines religions, et autres rave parties, etc.

    Lumières sur la corrida par Daniel D.

    Mais, pour que cela fonctionne, il faut une divinité tutélaire, un mythe fédérateur reconnus et vénérés par tous.

    Or, il n’y en a plus et, en attendant que quelque footballeur faiseur de miracles ne les remplace, les spectateurs ressortent de là aussi stupides et déstructurés qu’ils y sont entrés.

     Daniel D.

      


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