• Atelier-lecture du 5 avril 2018

    Atelier de lecture du jeudi 5 avril 2018

     

    « Dans l’épaisseur de la chair » Jean-Marie Blas de Roblès

    L’avis de Jeanine :

    L’auteur : Né en 1954 à Sidi-Bel-Abbès, puis balloté en Camargue, à Rouen et dans les Vosges après le rapatriement des Français d’Algérie, Jean-Marie Blas de Roblès passe son adolescence dans le Var. Etudes de philosophie à la Sorbonne, d’histoire au Collège de France, régates au long cours en Méditerranée. En poste au Brésil comme enseignant et directeur de la Maison de la Culture Française à l’université de Fortaleza, il reçoit le prix de l’Académie Française pour son recueil « La Mémoire de riz » en 1982. Transfert en Chine Populaire : il aura le privilège de donner les premiers cours sur Sartre et Roland Barthes à l’université de Tien-Tsin (Tianjin), à la fin de la Révolution Culturelle. En 1987, parution de son premier roman « L’impudeur des choses ». Après un séjour au Tibet, il rejoint sa nouvelle affectation à l’université de Palerme en empruntant le Transsibérien. Un deuxième roman « Le Rituel des Dunes » paraît en 1989. C’est à Taïwan (Alliance Française de Taipei) qu’il commence son troisième roman « Là où les tigres sont chez eux » (prix Médicis en 2008) et abandonne l’enseignement pour se dédier à l’écriture. Voyages au Pérou au Yémen et en Indonésie. A partir de 1990, publication d’essais ou de textes poétiques en revues (notamment dans le Mâche-Laurier en 2006 et de « Méduse en son miroir » en 2008 chez Mare Nostrum). Membre de la Mission Archéologique Française en Lybie depuis 1986, il a participé chaque été aux fouilles sous-marines d’ Appolonia de Cyrénaïque, de Leptis Magna et de Sabratha en Tripolitaine. Il dirige actuellement la collection Archéologies qu’il a créée chez Edisud et où il a publié plusieurs ouvrages de vulgarisation. Dans le même cadre d’activités, il est aussi responsable de rédaction de la revue Aouras, consacrée à la recherche archéologique sur l’Aurès antique.

    Le roman : C’est l’histoire de ce qui se passe dans la tête d’un homme ou le roman vrai de Manuel Cortès, rêvé par son fils (avec le perroquet Heidegger en trublion narquois de sa conscience agitée), Manuel Cortès dont la vie pourrait se résumer ainsi : fils d’immigrés espagnols tenant bistrot dans la ville garnison de Sidi-Bel Abbès, en Algérie, devenu chirurgien, engagé volontaire aux côtés des Alliés en 1942 et accessoirement sosie de Tyrone Power, détail qui peut avoir son importance auprès des dames…Et pui, il y a tout ce qui ne se résume pas, tous ces petits faits vrais de la mythologie familiale, les manies du pêcheur solitaire en Méditerranée, les heures douloureuses du départ familial dans l’urgence, et celles, non moins dures, de l’arrivée sur l’autre rive de la mer, de cette famille rapatriée. « Dans l’épaisseur de la chair » est un roman ambitieux, émouvant, admirable qui s’ancre d’abord dans l’amour, l’estime infinie d’un fils pour son père. C’est aussi, à travers l’histoire personnelle d’un homme, tout un pan de l’histoire de l’Algérie, depuis l’arrivée des grands-parents, venus d’Espagne, jusqu’au retour en France, au début des années soixante. Et ça commence par une apostrophe terrible, lancée par le père à son fils- Tu n’as jamais été un vrai pied-noir- doublée d’une question en écho : qu’est-ce qu’un vrai pied-noir ? Le récit est enlevé, brillant, philosophique, drôle, émouvant, bien sûr, sur une période peu exploitée dans le roman contemporain… Et avant tout un magnifique hommage d’un fils à son père.

     

    L’avis de Françoise H :

    Ce livre est un chef-d’œuvre de littérature, c'était la volonté de l'auteur et c'est réussi. Je l'ai découvert après avoir refermé le livre, heureusement car cette démarche me trouble un peu. Il a en effet déclaré « mon but est de faire de la littérature, pas de raconter l’histoire de ma famille »…

    Dès les premières lignes, j'ai été séduite par la qualité d'écriture et la profondeur du récit et de la réflexion.

    Si le premier chapitre déconcerte un peu, les rites des parties de pêche d'un fils et son père, l'histoire se dévoile ensuite : celle de Manuel Cortés le père pied-noir qui défile dans l'esprit de Thomas, le fils, tombé malencontreusement à la mer alors qu'il est parti seul en mer. Ses forces de décembre.

    Il s'agit d'un roman multiple. Tout d'abord l'auteur, historien de formation, nous décrit de façon détaillée et documentée à travers la saga familiale la colonisation de l'Algérie, l'engagement des pieds-noirs au côté des goumiers indigènes dans les débarquements en Italie et en Provence pendant la deuxième guerre mondiale, puis la guerre d'indépendance et enfin le rapatriement en métropole. Quant au philosophe, c'est plutôt sous forme de clin d’œil que l'auteur y fait allusion par la voix du perroquet imaginaire Heidegger qui interpelle Thomas et dialogue avec lui alors qu'il s'accroche au bateau glissant peu à peu vers l'hypothermie.

    extraits du livre :

    «  Il en va des pieds-noirs comme des Byzantins, ils n’ont existé en tant que tels qu’une fois leur monde disparu. » (page 59)

    "Mon père a assisté aux massacres de Sétif, il n'a rien fait, rien dit, rien ressenti, et je ne parviens ni à l'excuser ni à l'en blâmer. Il n'est pas si facile de percevoir ce que l'on voit ; il faut beaucoup d'efforts, de concentration sur l'instant présent, sur ce qu'il offre à notre regard, pour ne pas limiter ses yeux à leur simple fonction de chambre noire. Aveugles : ceux qui se sont contentés de voir, tranche Heidegger. Il a raison, hélas. "

    « La vérité, pourtant, c'est qu'en matière d'exactions sur les populations civiles, goumiers et tirailleurs n'ont pas été plus sauvages que les G I lors de la libération de la France. mille viols pour le corps expéditionnaire français en Italie, à peu près la même chose pour les soldats américains en France et en Angleterre, les russes remportant la palme, avec cent vingt-cinq mille femmes Entre trois et cinq violées dans la seule ville de Berlin.

    Plus qu'une sordide décompensation de soldats épargnés par la mort, le viol a toujours été une véritable arme de guerre. La pire sans doute avec le rapt et la torture... »

    Ces passages ne sont pas représentatifs de l'ensemble du roman mais ces réflexions en réponse aux souvenirs de guerre de Manuel Cortés m'ont interpellée et m'ont confortée dans l'idée qu'on ne peut attribuer à une « race », à une origine ou à une nationalité un non- respect de l'humain en opposition avec notre société que nous croyons civilisée grâce à l'éducation.

    Pour conclure, je dirais que ce roman extrêmement riche sur le plan historique et également plein de réflexion sur la nature humaine est l'un des meilleurs que j'ai lu cette année.

     

    « Tout cela, je te le donnerai /Todo esto te daré » Dolorés Redondo

    L’avis de Françoise H :

    « Tout cela, je te le donnerai /Todo esto te daré » fait référence à un verset de la bible et il s'agit du titre qu'a choisi Dolores Redondo pour son troisième livre. Ce polar ethnique et sociologique a remporté le très mérité prix Planeta 2016 en Espagne . Après la trilogie du Bastan qui avait pour décor le Pays basque, l'auteure nous transporte en Galice où Alvaro Muniz de Dávila, fils d’une famille patricienne décède dans un accident de voiture. Cet accident dans un lieu inattendu est le point de départ d'une enquête menée par le mari du défunt et un policier à la retraite.

    Dolores Redondo aborde des thèmes comme le mariage pour tous, la place de l'église dans la société espagnole et plus particulièrement dans sa noblesse, la pédophilie au sein de l'église, la violence conjugale et nous décrit l'ambiance d'un « pazo » demeure noble de la région ainsi que les paysages somptueux des rives du Miño où les rangs de vigne produisent du vin depuis l'époque romaine.

    Le liant de tous ces ingrédients est assuré avec talent par la vie des personnages et leurs relations complexes dans des mondes qui s'affrontent : celui des traditions à défendre coûte que coûte et celui du modernisme, héritage de la movida.

    « Tout cela, je te le donnerai » est un roman captivant que l'on ne lâche qu'à regret à une heure avancée de la nuit !

     


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