• Aldeadávila : un des ‘grands travaux’ de « Don Pantano » ?

    Aldeadávila : un des ‘grands travaux’ de « Don Pantano » ?

    Extraits de presse d’époque: le Caudillo appuie sur le bouton

    Ce jour-là, Franco prononça un petit discours dans son style personnel le plus pur !

     

    Pris par le beau lyrisme des métaphores militaires et guerrières :

    « une des batailles de la paix », « pour pouvoir obtenir la victoire, il faut une arrière-garde saine, une arrière-garde forte et unie », il faisait les louanges de ces grands travaux, dans le cadre, bien sûr des « deux régimes parallèles » « que nous devons à Dieu » !
    De quoi s’agissait-il au juste ?
    A l’issue de la catastrophique Guerre Civile de 1936 à 1939, le Régime franquiste ne voulut pas, ou ne put pas, participer directement à la Seconde Guerre Mondiale, participation qui se serait faite de toutes façons aux côtés d’Hitler. Le pays s’enferma alors dans une autarcie complète, où il fut maintenu par les Alliés, vainqueurs de cette guerre contre le fascisme.
    Il en résulta une décennie particulièrement difficile sur tous les plans, en particulier sur celui des ressources énergétiques que l’on ne pouvait importer de l’étranger, par manque de devises.
    Le rationnement alimentaire ne cessa qu’en 1952... Il fallait donc à tout prix lancer un programme de production locale
    d’énergie.

    Les centrales hydroélectriques ont fait partie de ce plan qui valut à Franco l’un de ses surnoms : « Don Pantano » (Monsieur Barrage). Au moment de son inauguration, celle d’Aldeadávila était la plus puissante de l’Europe occidentale, et elle fournit actuellement plus de 12% de l’électricité de toute l’Espagne!
    En ces temps de grave pénurie, les travaux, déjà gigantesques par eux-mêmes, représentèrent un impressionnant défi humain.
    Le Duero est le fleuve d'Espagne dont le débit est le plus important, avec une moyenne de 600 m3/seconde au point du barrage, mais les variations de ce débit sont énormes: de 150 m3/s à plus de 2,500 m3/s, selon les saisons et les années. Pour se faire une idée, disons que les chiffres de la Garonne sont comparables pour les moyennes 630 m3/s / 190 m3/s, et même pour les crues “centennales” : 9.000 m3/s, pour les deux.

    A l'endroit choisi pour le barrage, le Duero est profondément encaissé dans les “Arribes” (du latin         “ad ripae ”:
    “près des berges”) En effet, ces berges atteignent allègrement les 300 / 400 m de haut, presque à la verticale!
    Étant donnée l’étroitesse du lit du fleuve, et aussi la pente du terrain, l'eau acquiert là une vitesse et une force
    impressionnantes...
    Ce sont des données absolument premières et incontournables!

    Avant de se lancer dans la construction, il fallut donc creuser des tunnels latéraux, pour détourner le cours du fleuve, dans la roche vive des berges.

    Ces travaux se firent, comme tous les autres, avec les moyens du bord, tant sur le plan mécanique que sur celui de la protection des ouvriers...

     Cependant, si l’on s’en tient aux documents officiels qu’elle a produits pour présenter ses réalisations, l’entreprise qui pilota les travaux, IBERDUERO, manifesta de véritables égard vis-à-vis de son personnel.

     En effet, un petit village fut construit à
    proximité, à la fois très moderne et dans le
    respect de la tradition, avec sa place centrale à arcades (les "soportales"), et une belle piscine: idyllique, non?

    Juste une question: à qui étaient réservées ces commodités? Car les innombrables petits paysans locaux employés sur le chantier n’auraient jamais pu y loger tous, et encore moins leurs familles...

     Les chiffres concernant cette Centrale sont propres à donner un vertige aussi prenant que celui que l’on ressent du sommet du barrage qui domine le fleuve, côté versant, de ses 140 m de haut, et ses 250 m de large.
    Un total de 870.000 m3 de béton armé.
    Des ponts provisoires, et deux tunnels pour le passage des engins, de 400 m de long chacun.
    Un tunnel de dérivation provisoire de 505 m de long et d’une section de 110 m2, capable de drainer 650 m3/seconde d’eau, dont l’entrée a été fermée lors de la mise en eau.
    Deux canaux déversoirs, indispensables en cas de crue. Etc.
    Mieux, bon nombre des matériaux et des pièces lourdes ont été fabriqués sur place, dans des usines construites là tout exprès : le gravier concassé à partir des roches d’extraction, les tubes des canalisations et des turbines, etc.

    Il y en a 6. Elles sont installées
    dans une sorte de “cathédrale” de plus de 100m de long et de 40m de haut, creusée bien sûr à la main et au marteau-piqueur.

    Le transport, la mise en place et l’ajustement et le réglage de ces monstres de dizaines de tonnes représentait à la fois un travail d’Hercule et une précision d’horloger.

    Au cours des travaux, qui durèrent de 1958 à 1964, le temps
    n’épargna personne par ses inclémences: excès de chaleur et de
    froid et, durant l’hiver 1961, une “crue centennale”. Le tunnel de dérivation et les déversoirs étaient prévus pour drainer 5.600 m3/s, ce qui est déjà deux fois plus que la moyenne, mais cette année-là il arriva 8.500 m3/s d’eau! Bilan: tout faillit être emporté, les ponts étaient coupés, et tout était
    noyé. Les travaux durent être arrêtés pendant près d’un mois, et il fallut faire appel à l’armée pour rattraper le temps perdu.

    On pourrait parler des millions de calculs —sans ordinateur!— faits et refaits à l’infini pour chacun des plans d’ensemble, des résistances du sol et des matériaux, pour la composition et la température des bétons, le dessin des turbines, les pressions de l’eau dans les conduites forcées, les câblages électriques intérieurs et extérieurs, jusqu’à en avoir le tournis, ce qui est pourtant le top pour des turbines...

    Divers types de réflexions ont été menés sur ces centrales hydroélectriques, car il y en a beaucoup d’autres; par exemple le roman de Jesús López Pacheco,
    “Central eléctrica ”, de 1958.
    L’auteur, au risque de la censure franquiste qu’il dut finalement fuir, y développait l’aspect humain de ce phénomène qui signa le passage des populations rurales concernées “de l’âge de pierre à celui de l’alternateur”,      et fut aussi la transition entre une économie rurale d’échange et le nouveau système capitaliste !

    D’ailleurs, la firme IBERDUERO, devenue IBERDROLA en 1992, est
    aujourd’hui une très puissante multinationale, leader mondial en énergie
    éolienne. Petit détail complémentaire: en Espagne “la luz” (“l’électricité”)
    n’est pas vendue par l’État, mais par des entreprises privées...

    Même le cinéma en a tiré profit!
    Le film “Docteur Jivago”, tiré du roman de Boris Pasternak, dirigé par David Lean, avec Omar Sharif, fut presque entièrement tourné en Espagne en 1965, et le barrage d’Aldeadávila y figure en bonne place.

    Et le tourisme! Indiscutablement, une balade en bateau mouche entre ces falaises est une expérience unique, à ne pas rater!

    Mais, ne visitez pas tout ça en "touriste”. Ce serait bien dommage !

    Daniel D.


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